Chef décorateur de Coppola, Polanski, Wenders et peintre, Dean Tavoularis expose son travail dans une galerie parisienne. Rencontre.
Le nom de Dean Tavoularis intriguera peut-être certains d’entre vous. Qui c’est celui-là ? La dernière coqueluche de l’Acropole ? Le successeur hollywoodo-grec de Jules Dassin et George Pan Cosmatos ? Par contre, si on écrit Bonnie and Clyde, Antonioni, Wenders, Apocalypse Now, Polanski, ça sonne plus familier ?
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Tavoularis fut en effet le chef décorateur de ces films et cinéastes, l’un des plus grands set designers de l’histoire, le partenaire essentiel de Francis Ford Coppola tout au long de sa filmo. Bref, le bureau clair-obscur du Parrain, les néons de Coup de coeur, le style exotique et colonial d’Apocalypse Now, et plus généralement l’univers visuel de Coppola, c’est lui.
Tavoularis est à Paris pour une exposition consacrée à ses dessins, peintures et story-boards (mise en oeuvre par Dominique Païni et Aurore Clément), belle occasion de rencontrer cet artisan de l’ombre qui a contribué à façonner certaines des images cinématographiques marquantes des quarante dernières années.
Elégant, discret, Tavoularis déroule d’une voix douce le film de sa vie. Fils d’immigrés grecs, il naît dans le Massachusetts mais débarque à Los Angeles à l’âge de 5 ans. Son père livre de la nourriture et, parmi ses clients, se trouvent des employés du studio Fox (qui fut fondé par un Grec). Tavoularis se souvient de ce premier contact fortuit avec l’univers hollywoodien, son père l’emmenant parfois au milieu des hangars et décors de la major de Westwood.
Souvenir d’enfance qui ne trace pas nécessairement une vocation. Tavoularis viendra au cinéma par les chemins vicinaux des études en art et du dessin. Avec des copains étudiants, il tente sa chance sans y croire chez Disney, Mecque du dessin, et se fait embaucher !
« J’étais chargé des dessins intermédiaires, ceux qui s’intercalaient entre les dessins primordiaux pour parfaire le mouvement d’animation. Il y avait là des dessinateurs et techniciens de toutes nationalités, sympathiques et coopératifs, qui m’ont tout appris. »
Pourtant, Tavoularis ne se voit pas éternellement dans ce métier qui implique de rester des heures dans un studio sombre, à dessiner à la chaîne. A l’époque, tout semblait simple : il va voir son chef et, du jour au lendemain, se retrouve muté au département « prises de vues réelles » de Disney, où il continue de faire ses classes. L’un de ses premiers films en tant que chef décorateur sera Bonnie and Clyde – on peut rêver pire comme début dans la carrière.
Autre rencontre décisive, celle de Michelangelo Antonioni, avec qui il tournera notamment Zabriskie Point.
« Au début, j’étais anxieux, on m’avait dit que Michelangelo n’était pas commode. Puis, assez vite, on s’est bien entendus. C’est avec lui que j’ai réalisé que le cinéma n’était pas seulement une distraction ou un business mais pouvait aussi être de l’art, avec un contenu stylistique, philosophique, politique. »
Mais c’est en étant engagé pour Le Parrain que Tavoularis fait la rencontre la plus importante de sa vie professionnelle. A l’époque, Francis Ford Coppola est encore un jeune loup débutant, mais déjà confiant dans sa vision et décidé à détenir le contrôle artistique de son film.
« Il était très affable, très chaleureux, on s’est tout de suite bien entendus. C’était important parce que Le Parrain a été un combat. Francis et le studio Paramount se querellaient sur quasiment chaque décision à prendre. C’était une grosse production et Francis n’avait pas encore de crédit auprès des dirigeants des majors, on ne lui faisait pas entièrement confiance. Je me souviens encore du moment où il m’a dit qu’il pensait à Marlon Brando pour le rôle principal. Ce choix n’allait pas de soi, Brando était hors circuit. Aujourd’hui, on n’imagine personne d’autre dans ce rôle. Cela prouve le talent intuitif de Francis. »
Le Parrain sera l’énorme succès que l’on sait et Coppola deviendra l’un des rois du « Nouvel Hollywood ». Tavoularis sera de toute l’aventure coppolienne, du baroquisme visuel de Coup de coeur ou de Rusty James à la sobriété de Jardins de pierre en passant par les stylisations rétro de Tucker ou de Peggy Sue s’est mariée. Mais l’un des épisodes marquants de cette saga restera Apocalypse Now. « J’ai eu trois anniversaires au long de ce film. Trois années difficiles, dont presque deux dans la jungle, loin de chez nous. Aujourd’hui, on est contents de l’avoir fait, mais à l’époque ce fut pénible. Deux années dans la chaleur, l’humidité, les problèmes de budget, les conditions d’urgence. C’était harassant. Mais le pire, c’était les dimanches. On n’avait rien à faire, on s’ennuyait à périr. » Tavoularis n’a certes pas redessiné la jungle, mais il a travaillé sur tout l’univers visuel du film, des maisons de style colonial jusqu’aux fameux hélicoptères. Et c’est durant ce tournage qu’il a connu sa compagne, l’actrice française Aurore Clément (qui figure dans la version « redux » du film).
A côté de son compagnonnage avec Coppola, Tavoularis a « décoré » le Hammett de Wim Wenders, produit par Zoetrope (« Avec Wim, j’ai partagé le goût de certains peintres, comme Edward Hopper »), ou La Neuvième Porte de Roman Polanski. Il a d’ailleurs signé le décor unique de Carnage, le film que Polanski est en train de tourner, d’après la pièce de Yasmina Reza.
« Polanski est très intelligent et connaît admirablement bien le cinéma. Il dirige son équipe comme un chef chirurgien, attentif à chaque détail. Je suis un peu inquiet que le film repose sur un décor unique, mais la pression retombe quand je pense à l’excellent casting : Kate Winslet, Christoph Waltz, Jodie Foster et John C. Reilly. »
Avec son exposition, Tavoularis sort de l’ombre, monte seul en première ligne.
« Ce n’est pas ma première exposition. Mais c’est vrai qu’au cinéma le public s’en prend au réalisateur ou aux acteurs, jamais au décorateur. »
Story-boards, dessins préparatoires aux films, mais aussi peintures d’influences diverses (abstraction, pop art, cinéma…) : Tavoularis « revient à la maison » après une vie de cinéma bien remplie, et loin d’être close.
Serge Kaganski
Dean Tavoularis : le magicien d’Hollywood : exposition du 18 mars au 21 mai à la galerie Catherine Houard, 15, rue Saint-Benoît, Paris VIe, tél. 09 54 20 21 49.
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