Cinéphile, féministe, reine du stand-up, tête d’affiche de la comédie populaire, auteure… Camille Chamoux est un peu tout ça à la fois. Sa présence dans le beau premier long métrage de fiction d’Ilan Kippler, « Le Ciel Étoilé au-dessus de ma tête » marque son entrée dans le jeune cinéma d’auteur français, dont, elle pourrait, qui sait, devenir la nouvelle coqueluche ?
Quand on la rencontre ce jeudi matin dans son QG du 10e arrondissement de Paris, Camille Chamoux est ravie. La veille, elle a présenté au cinéma Les 3 Luxembourg, Le ciel étoilé au-dessus de ma tête, premier long métrage de fiction d’Ilan Klipper, à l’affiche depuis ce mercredi, dans lequel elle forme un duo génial et émouvant avec Laurent Poitrenaux. Un lieu de projection symbolique pour la comédienne originaire de Paris et ancienne élève de prépa littéraire au lycée Fénelon, situé en plein cœur du quartier latin :
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« J’ai passé beaucoup de temps dans ces salles de cinéma. Je me faisais pas mal de rétrospectives à cette époque. J’ai vu tout Bergman, beaucoup de Cassavetes. J’étais accrochée, j’adorais ça ! Le truc génial du quartier latin c’est qu’on peut voir à peu près tout. C’est aussi la magie de cet âge où tu ingurgites. »
Autant dire que la présentation du Ciel étoilé au-dessus de ma tête dans cette mythique salle parisienne avait le goût d’une douce madeleine : « J’en pouvais plus, c’était la consécration ! ».
A l’époque où elle est encore étudiante, c’est dans cette salle, mais aussi au Mk2 Beaubourg et à l’Action Ecole (« je ne sais même pas si ça existe encore ! ») que Camille découvre, entre deux cours, Les Roseaux Sauvages d’André Téchiné, Les amoureux de Catherine Corsini dont elle a « beaucoup aimé les films », Nos vies heureuses de Jacques Maillot ou encore Les Nuits Fauves de Cyril Collard, un film fort à l’époque mais qui « a mal vieilli ». Et la Nouvelle Vague ? Très peu pour elle. C’est un de ses grands tabous, ironise-t-elle. Elle épargne, tout de même, la saga Antoine Doinel de François Truffaut mais pour des raisons « totalement narcissiques » : « On a tendance à l’oublier mais Dorothée a eu un rôle principal chez Truffaut dans L’Amour en Fuite. Et franchement on dirait moi! C’est mon mec de quand j’avais 16 ans qui me l’avait fait remarquer. C’est devenu ma petite fierté. »
Mais il n’y a évidemment pas que ces souvenirs cinéphiles qui exaltent la comédienne. Ce qui semble aujourd’hui la mettre en joie, c’est d’avoir renoué avec un cinéma « auquel, jeune, j’ai très vite été sensible » et dans lequel, il faut bien le dire, on n’aurait pas imaginé la trouver. Affiliée, depuis sa révélation en 2014 dans le très réussi Les Gazelles, adapté de son spectacle, à une certaine tranche de la (plutôt bonne) comédie populaire française, Camille Chamoux s’aventure pour la première fois, sur des territoires nouveaux, ceux d’un cinéma d’auteur (un terme qui selon elle « ne veut à peu près rien dire » et qui « désigne plutôt la vision du monde d’un artiste ») indé et bricolé.
Un changement de registre pourtant pas si soudain et incongru pour l’actrice : « J’ai entamé cette modification de registre avec la série Arte J’ai 2 amours, (diffusée en mars dernier) qui était à mon sens très novatrice, peut-être moins que Le Ciel étoilé dans sa facture et sa fabrication, mais très moderne dans les thèmes qu’elle aborde. Le ciel étoilé est pour moi un objet cinématographique rare. C’est la première fois que je participe à un projet de cette envergure, aussi original. Pour moi c’est la révélation d’un auteur et d’un réalisateur. »
La génération d’après Un Monde Sans Pitié
Issu du documentaire (quatre au total dont trois co-réalisé avec Virgil Vernier), Ilan Klipper interroge, à travers ses films, la frontière ténue entre réalité et fantasme, raison et folie, fiction et cinéma direct, s’immergeant tantôt dans un commissariat, tantôt dans un hôpital psychiatrique. En 2014, il réalise son premier court métrage de fiction, Jukebox, avec le chanteur Christophe dans la peau d’une ancienne star de la chanson, reclus dans son appartement et rêvant d’un ultime come-back. Avec Le Ciel Etoilé au-dessus de ma tête, Klipper nous plonge à nouveau dans l’antre de la folie, mais cette fois-ci par le biais de la comédie. L’histoire est encore celle d’un « type qui n’arrive plus à sortir de chez lui », d’un funambule perché « très haut sur une ligne de crête près des nuages où se trouve l’inspiration » comme le dira la psychiatre Sophie Andreu, le personnage qu’interprète Camille Chamoux dans le film avec grâce et retenue. Ce dangereux acrobate, c’est Bruno (Laurent Poitrenaux donc), un quinquagénaire en mal d’inspiration depuis la parution, vingt ans plus tôt, de son unique roman.
Ce rôle de psychiatre douce et faussement insubmersible, Camille Chamoux est allée elle-même le chercher.
« J’ai lu le scénario, je l’ai adoré et j’ai immédiatement voulu le faire. C’est son principal collaborateur et super assistant sur le film, Raphael Neal, qui a suggéré à Ilan de me rencontrer pour le rôle de la psychiatre. Il ne savait pas du tout ce que je faisais et qui j’étais. J’ai donc passé des auditions. J’ai appelé mon agent et je lui ai dit : ‘j’ai très envie de faire ce long métrage tourné en 12 jours avec à peu près zéro euro.’ Ce film défie les lois de l’industrie.«
Un do it yourself qui a visiblement conquis la comédienne, encore exaltée quand elle se remémore ces souvenirs. Une manière aussi pour, celle qui s’est amusée à égratigner avec tendresse la génération X (la sienne) dans plusieurs de ses spectacles (dont le très signifiant Née sous Giscard) de poursuivre cette exploration. Car outre la folie et ses bordures, Ilan Klipper esquisse, lui aussi, le portrait désabusé d’une génération faite d’adultes indécis, ne sachant pas choisir entre ambition et rejet de la société.
« Je connais Bruno et ça n’est pas que théorique. Pas celui qui a inspiré Ilan pour le film, qui est un réalisateur talentueux qui a fini par se désocialiser. Mais je connais ce genre de personne. C’est un syndrome lié à ma génération, celle qui suit Un Monde Sans Pitié d’Eric Rochant. J’ai beaucoup travaillé là- dessus en partant du principe qu’il était difficile d’être un génie dans une époque médiocre. La question que se pose Bruno c’est ‘est-ce qu’on a le droit de vivre en marge ? de vivre autrement ?’ Tout le monde décrète que Bruno est fou mais dans le fond c’est juste qu’il ne se retrouve pas dans ce monde, il a l’impression que rien ne vaut le coup dans la société telle qu’elle lui est présentée. Il y a une génération d’artistes qui porte un regard assez désabusé sur le monde d’aujourd’hui avec toujours beaucoup d’autodérision.«
Revenir à l’essentiel
Quand on lui demande si elle admire le travail de certains cinéastes de cette dite génération, Camille Chamoux cite Antonin Peretjatko et La loi de la jungle qui l’a fait « mourir de rire », Justine Triet mais aussi Guillaume Brac dont elle aime particulièrement le moyen métrage Un monde sans femmes. « Ce qui me plait chez ces cinéastes, et c’est pour moi très présent chez Guillaume et Ilan, c’est qu’ils sont un peu en marge du système et qu’ils créent un cinéma singulier, un peu dans leur coin. Et il se trouve, en plus, qu’ils sont totalement repérés et reconnus dans le métier. Le film d’Ilan m’a apporté du sens. J’ai l’impression d’être revenue à l’essentiel. »
Un retour aux sources qui n’a rien de définitif. Car pour Camille Chamoux, ce cinéma- là n’est pas incompatible avec un autre plus grand public, bien au contraire. « Pour moi cette manière de faire n’est pas réservée à ce genre de film. Larguées d’Eloïse Lang, par exemple, est aussi ‘une comédie d’auteur’. Et ce que je sais avec certitude aujourd’hui, c’est qu’il n’y a que ça qui m’intéresse. »
« Trois rôles principaux de filles, ça n’est pas banal. »
Sorti il y a tout juste un mois, le film d’Eloïse Lang, Larguées, ou le voyage mouvementé de deux filles et de leur mère, parvenait à embrasser les codes de la comédie populaire tout en dessinant finement les contours de ses personnages. Comme pour Les Gazelles en 2014, dans lequel l’actrice incarnait une trentenaire et apprentie célibataire en pleine crise existentielle, Larguées a été accueilli comme le signal bienvenu d’un ré-ajustement de la représentation des femmes au cinéma. Une donnée, encore aujourd’hui, suffisamment rare pour qu’elle soit soulevée. Quand on demande à Camille Chamoux son avis sur cette persistante équation qui voudrait que personnages féminins complexes = innovation, elle répond : « J’aimerais qu’on arrive très vite à une époque où on dira ‘ce film est brillant’ ‘ce film est extrêmement drôle’ et où on ne se posera plus la question du genre. Il n’empêche qu’encore aujourd’hui, et je me suis moi-même fait la réflexion il faut être honnête, c’est assez fou de voir une comédie populaire avec trois rôles principaux de filles qui a du succès. Ça n’est pas banal. »
Pour autant, la comédienne ne revendique aucun militantisme, si ce n’est le besoin de « raconter nos vies honnêtement » :
« Avec Mona Achache, réalisatrice des Gazelles, nous n’avions pas du tout soupçonné que le film serait vu comme un brûlot féministe. De la même manière, Eloïse Lang n’a pas du tout réalisé Larguées en pensant faire un film féministe. Ce n’est pas une donnée qu’elle a voulu consciemment intégrer. Comme elle n’a pas intégré l’idée que le destin des filles à la fin d’un film, se résume au fait de trouver un mec ou pas. C’est peut-être pour ça que ça devient un film féministe. C’est suffisamment rare pour être remarqué.«
Celle qui n’en peut plus de l’affaire Weinstein (« Je pense qu’on a tout dit sur ces mouvements et même trop dit ») et préfère parler du mouvement d’Aïssa Maïga, Noire n’est pas mon métier, qui ne jugera « jamais une oeuvre d’art à l’aune des droits civiques ou d’une quelconque morale » tout en condamnant tout acte répréhensible, a désormais choisi de ne réaliser que des projets qu’elle juge « nécessaires » : ne plus accepter de rôles stéréotypés au cinéma comme au théâtre. Ce qu’elle peut désormais se permettre.
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