Réalisateur de “Matthias et Maxime”
L’amour qui nous lie aux films de Xavier Dolan dépasse largement les frontières de la cinéphilie et des salles de cinéma.
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Depuis la venue en 2009 de ce jeune prodige québécois sur la Croisette avec un premier film, J’ai tué ma mère, Dolan nous a toujours fait l’effet d’un cinéaste en prise avec son temps, connecté à son époque et sa génération de manière quasi organique, casse-cou, joyeuse et douloureuse, au point de mettre son bien-être parfois en jeu, nerfs à vif et crises de larmes (face aux critiques éreintantes d’une partie de la presse).
Un artiste qui se laisse sans doute dévorer par l’exigence qu’il projette dans son travail (le montage extra-long de Ma vie avec John F. Donovan), un perfectionnisme – qui le met parfois à genoux, creuse de cernes son beau visage – à l’origine de sept œuvres d’une folle intensité, d’une grande inventivité formelle et d’un lyrisme passionné.
Romance gay dans un grand film sur l’amitié, son huitième long métrage, Matthias et Maxime, ne déroge pas à cette ambition, synonyme aussi d’un certain apaisement chez le jeune cinéaste qui aborde sereinement la trentaine.
Comment expliques-tu ton désir de filmer une bande d’amis à ce moment de ta carrière ?
J’avais envie de filmer autre chose que des duos ou des trios. J’ai fait des films autour du couple comme Les Amours imaginaires, sur des triumvirats avec Mommy… A la base, il y a donc un désir de se renouveler. Le film parle de fraternité, d’amitié, convoque un groupe, une bande de jeunes hommes. Il me semblait aussi intéressant de montrer comment une histoire d’amour entre deux individus impacte toute une communauté.
“La caméra est à l’image des protagonistes, elle est plus athlétique, plus jeune et dynamique que dans mes derniers films”
Avec la forme du film – caméra à l’épaule, Snapzoom – on est dans un mode de filmage très organique…
La caméra est à l’image des protagonistes, elle est plus athlétique, plus jeune, plus franche et dynamique que dans mes derniers films. Je n’avais pas envie d’une mise en scène trop élaborée. Il y a des moments qui le sont et assument une part de lyrisme, notamment une scène de baiser très travaillée, mais l’envie prédominante est celle d’une caméra vraiment souple qui soit toute proche des personnages.
As-tu vécu ces moments en groupe ? Ou la fiction est-elle une manière pour toi de concrétiser ce fantasme collectif ?
Je n’ai pas fait ce film pour conjurer un manque. Au contraire, j’ai pris ma bande d’amis dans la vraie vie pour en faire un film. Ce n’est pas notre histoire, nous composons un groupe qui nous ressemble sans être nous. J’ai découvert l’amitié en groupe tardivement.
J’ai passé beaucoup de temps seul dans ma vingtaine, à faire des films, à voyager ou à être seul chez moi. J’ai rencontré ma bande d’amis à la fin de ma vingtaine, cela a été salutaire et j’ai eu envie de faire un film qui célébrait ça.
Le travail tient-il toujours une place dévorante dans ta vie ?
Le travail est toujours là, je ne m’arrête jamais, je ne me repose pas. C’est ça ma vie, mon grand amour : ma relation aux films. J’ai la chance de faire ce travail sans horaires de bureau, mais cela ne veut pas dire que je n’aimerais pas parfois m’échapper. Vers la trentaine je voudrais un autre rythme. Jouer beaucoup plus, par exemple. Cela se concrétise : l’an prochain je serai acteur dans trois films.
“Ce film est la plus belle expérience artistique de ma vie”
Tu as pris beaucoup de plaisir à être acteur dans ton film ?
Ce film a été un bonheur inouï de la première ligne écrite au dernier cadre de la dernière bobine de 35 mm. Ça a été fluide, agréable, simple, organique, naturel, fraternel. C’est la plus belle expérience artistique de ma vie. Avant cela, j’ai fait des films dont je suis fier mais dont la préparation et le tournage ont été plus durs et mouvementés. Alors qu’on a pu fabriquer ce film de manière vraiment harmonieuse. Cela a été un grand soulagement pour moi.
Dirais-tu que Matthias et Maxime parle d’interdit et de transgression, de ce que l’on s’autorise à vivre ou non en fonction d’une norme ?
Oui. Je ne traite pas de ces questions par romantisme, pour moi le combat contre la norme est un combat réel, actuel, continu. On le voit aux Etats-Unis : la régression et la manière dont on revient en arrière à tous les niveaux et sur tous les enjeux. On dirait que ces dernières années on est revenu quarante ans en arrière.
On a toujours des problèmes avec ce qui ne nous ressemble pas et qui s’exprime par le sexisme, le racisme, la phobie des religions… Les gens ont un immense problème avec ce qui ne leur est pas identique. Ça les confronte à leur propre différence ou à leur banalité. Ils ont besoin de se dire qu’ils ne font pas partie du problème, qu’il vient d’ailleurs – des homosexuels, des femmes, de l’islam…
A plus petite échelle, mon film parle de deux garçons qui ont la certitude d’être normaux, hétérosexuels, jusqu’à ce qu’un baiser, un geste anodin, vienne remettre en question l’ordre des choses tel qu’il a été prescrit par on ne sait trop qui – leurs parents, la société… Ils se demandent : est-ce qu’à 29 ans on peut changer ? C’est un film sur la manière dont on se transforme.
“Je me construis à travers le regard des autres depuis toujours”
La tache de naissance sur la joue de ton héros est la marque de quoi ? Sa détresse ? Sa différence ?
J’adore les taches de vin. J’ai toujours trouvé ça beau. Les gens qui en ont se trouvent toujours intérieurement laids, et moi je les trouve toujours beaux et belles. J’aime les taches et les cicatrices parce que je sais que ceux qui les portent ont dû vivre en supportant les insultes et le regard des autres.
Moi aussi je me construis à travers le regard des autres depuis toujours. Je me trouve petit, pas assez ci ou ça… Cette cicatrice est la marque de mon bagage émotionnel, toutes les douleurs, les contradictions, la perplexité que j’éprouve envers certains événements de ma vie ces dernières années. C’est une tache intérieure que mes amis ont apaisée et ont réussi à me faire oublier.
Matthias et Maxime de Xavier Dolan. Sélection officielle, date de sortie inconnue
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