Entre l’intime et le politique, il y a une pornographie modelée par et pour internet. Mais aussi tout un spectre de désirs que cette œuvre ultra-contemporaine explore avec empathie.
“If it exists, there is porn of it” – qu’on pourrait traduire par “il existe un équivalent porno pour chaque chose” – est une maxime, baptisée “règle 34”, apparue sur internet au tournant des années 2000. Exprimant la capacité qu’a la pornographie de s’emparer de chaque parcelle du réel, l’adage donne son titre au troisième long métrage de la Brésilienne Júlia Murat, récompensé par le Léopard d’or lors du dernier festival de Locarno.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette idée d’une dialectique serrée entre pornographie sur internet et réalité donne sa colonne vertébrale au film. Constitué d’une suite de scènes sans lien apparent, il accompagne les deux versants de la vie de Simone (jouée par Sol Miranda, une révélation), étudiante en droit le jour, en particulier sur les questions d’agressions sexistes et sexuelles, et camgirl la nuit, de plus en plus attirée par le BDSM.
Si ce dispositif en aller-retour est didactique, et qu’on comprend bien que ce qui s’y joue est au fond notre rapport, individuel et collectif, à la violence, la pensée du film ne l’est pas, et c’est là toute sa force. Règle 34 oppose à la vision du film à message (le film “biscuit chinois”) celle du film à brouillage (le film “boule de bowling”), celui qui s’attaque à l’ordre établi, qui fait vaciller les certitudes et s’entrechoquer les quilles du réel avec fracas.
Le mode de vie d’une certaine jeunesse
Aux spectateur·rices d’en extraire un sens, une règle pour soi qui aille plus loin qu’une simplette justification du BDSM comme produit d’une société patriarcale brésilienne, raciste et sexiste.
L’autre qualité de Règle 34 est le fort sentiment de contemporanéité qui se dégage de son jeu de quilles. Omniprésence des écrans d’ordinateur et de téléphone, problématiques intersectionnelles, pornographie, remise en cause du modèle de couple traditionnel hétérosexuel, il épouse le mode de vie d’une certaine jeunesse contemporaine, éduquée, connectée et fortement politisée à gauche.
Le film explore avec une rare acuité la brèche entre nos identités publique et privée
Par bien des aspects, le film de Júlia Murat fait penser à Bad Luck Banging or Loony Porn de Radu Jude (2021), autre grand film sur le temps présent, la pornographie sur internet, le cynisme de la justice et l’obscénité du réel. Mais là où il se démarque de celui du cinéaste roumain, c’est dans la vraie tendresse avec laquelle Règle 34 dépeint les relations entre les personnages.
Au carrefour du polyamour, de l’amitié et des expérimentations sexuelles, et avec pour fragile éthique l’importance de la confiance et de l’échange propre au milieu BDSM, le film questionne avec une rare acuité la brèche entre nos identités publique et privée.
Règle 34 de Júlia Murat, avec Sol Miranda, Lucas Andrade (Br., Fr., 2022, 1 h 40). En salle le 7 juin.
{"type":"Banniere-Basse"}