Après avoir séduit la planète dans La Revanche d’une blonde, elle vole la vedette à Joaquin Phoenix dans Walk the Line. Son rôle dans ce biopic sur la vie de Johnny Cash la place favorite pour les oscars.
Par Olivier Nicklaus
C’est en pariant sur sa blondeur qu’elle est devenue une star. Mais c’est en se teignant en brune qu’elle obtient définitivement les honneurs en tant que comédienne. On pourrait penser que ces changements de couleur de cheveux sont anecdotiques. Ce serait une erreur. Surtout en ce qui concerne Reese Witherspoon. Le cheveu, c’est le fil à tirer pour comprendre son parcours.
Ainsi, si l’année 2001 est entrée dans l’histoire pour une certaine attaque terroriste, elle restera aussi éternellement associée à la sortie d’un film dit « culte » : Legally Blonde, en français La Revanche d’une blonde, hymne fun à l’hyperféminité, laissant entendre qu’être blonde n’empêche rien (avoir un cerveau, un cœur, une âme) et autorise sinon tout, du moins beaucoup (se promener en minijupe rose fluo, rendre les mecs zinzin, se venger sans culpabilité). Cette date dans l’histoire de la blondeur est LE break de la carrière de Reese. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas arrivé par hasard. S’il ne fallait qu’un mot pour la résumer, ce serait « détermination ». La petite (1,57 mètres) sait ce qu’elle veut. Vous le lisez dans ses yeux au moment où elle fend la pièce pour venir vous serrer la main et attendre vos questions d’un air de défi maquillé d’un sourire hollywoodien. Vous le confirmez au bout d’une minute d’entretien, quand elle vous explique calmement qu’à l’âge de 7 ans elle a convoqué ses parents médecins pour leur expliquer qu’elle voulait devenir comédienne. « Oh, ils étaient bien un peu surpris, mais comme ils ont vu que j’étais sûre de mon coup, ils m’ont payé des cours et conduite aux castings. »
Tellement sûre d’elle que la question sur le regret éventuel d’avoir gâché son enfance en étant sans cesse en compétition pour des rôles paraît presque déplacée. Il est vrai qu’on n’est plus à l’époque où une Shirley Temple ou un Macaulay Culkin pétaient un jour ou l’autre les plombs pour avoir démarré si jeunes : aujourd’hui, toutes les actrices qui montent, de Kirsten Dunst à Scarlett Johansson, ont commencé au berceau.
Mais Reese veut nous convaincre qu’elle a eu une enfance normale : « Mes parents n’ont accepté ma décision d’être actrice qu’à condition que j’aille à l’école normalement. J’ai même fait un an de fac. Donc, j’ai eu les mêmes expériences que les autres : me sentir à part, ne pas avoir de petit ami, avoir des copines, etc. » Quand même, à 7 ans, il faut être forte pour avaler les refus et les remarques inévitables sur le physique… Reese envoie un regard d’aigle qui la fait ressembler l’espace d’une demi-seconde à Madonna et balance en riant, comme pour s’excuser d’autant de franchise : « J’ai toujours su que j’étais douée. Je n’ai jamais eu de doute là-dessus. »
Armée d’un tel capital, la demoiselle a vite franchi les étapes. En 1990, à l’âge de 14 ans, elle débarque comme figurante sur le plateau d’Un été en Louisiane. Le réalisateur, Robert Mulligan, la repère et lui confie… le rôle principal ! C’est parti : Reese enchaîne film sur film. Tout ne sort pas ici. Pour nous, la découverte de Reese, c’était il y a dix ans, dans une relecture trash du Petit Chaperon rouge baptisée Freeway (Matthew Bright). Face à Kiefer Sutherland en ogre pédophile, elle fait des étincelles, à la fois drôle et agressive, forte et séduisante. La profession s’accorde sur ses qualités d’actrice, elle trouve des rôles, tire toujours son épingle du jeu, de Pleasantville (Gary Ross) à L’Arriviste (Alexander Payne). Ça marche, mais ça ne lui suffit pas.
« Malgré les bonnes critiques, je ne pouvais pas avoir tous les rôles que je voulais. J’ai demandé pourquoi à mon agent. Il m’a répondu « Parce que les films que tu as fait n’ont pas rapporté assez d’argent. » « Ok, alors je veux faire un film qui rapporte beaucoup d’argent. Envoie-moi TOUS les scénarios. » C’est comme ça que j’ai lu celui de La Revanche d’une blonde. Sans ça, je ne suis pas sûre qu’il me l’aurait envoyé. Là, j’ai pensé qu’il y avait une possibilité pour moi. D’abord, je sentais vraiment comment le jouer, comment créer de l’empathie pour elle chez le spectateur. On a fait le film pour dix millions de dollars, et il en a rapporté cent, rien qu’aux Etats-Unis. A partir de là, tout était possible pour moi, ma vie a changé. »
En voilà une qu’on ne pourra pas accuser de langue de bois. Tranquillement, avec son charme mutin, sa peau de porcelaine, son petit menton spirituel, sa jolie robe en gaze céladon, Reese Witherspoon vient de vous donner une leçon sur ce que doit d’abord être une actrice contemporaine : une femme d’affaires qui gère son business. Oubliez Stanislavski, oubliez Lee Strasberg, relisez plutôt Bill Gates.
Satisfaite de sa petite démonstration, Reese poursuit : « Il faut être maligne. Ce métier a changé. On n’est plus à l’époque où Meryl Streep pouvait faire tous les films qu’elle voulait simplement parce qu’elle était une bonne actrice et qu’il n’y avait que ça qui comptait. A l’époque, les gens voyaient tous les films. Aujourd’hui, ils ne voient que les comédies, les blockbusters avec des stars et de l’action. Il faut faire partie de ce monde si vous voulez faire un film comme Walk the Line. Si je n’avais pas fait La Revanche d’une blonde ou Fashion victime, je n’aurais pas joué June Carter, la compagne de Johnny Cash. »
Comme de plus en plus de ses consœurs, après le succès de La Revanche d’une blonde, Reese a monté sa propre société de production, Type A, qui s’est dépêché… de produire la suite, La Blonde contre-attaque, aussi raté que le premier était réussi, non seulement indigent, mais plus grave : populiste. Autrement dit : ce n’est pas parce qu’on peut tout faire qu’il faut faire n’importe quoi. A l’époque, Reese tourne aussi Fashion victime, dont le titre américain, Sweet Home Alabama, dévoile le message réactionnaire : tournez le dos aux fausses valeurs urbaines et retournez à la campagne où tout est authentique. Au secours !
« Le film a bien marché aux Etats-Unis, peut-être parce qu’il est très américain. Il faut bien parler aux gens qui vivent au fin fond des Etats-Unis. On ne peut pas faire des films que pour Paris ou New York. » Une déclaration qui inquiète un peu sur ses choix politiques. Est-elle aussi à droite que sa défense de ces films pourrait le laisser penser ? Elle refuse de dire pour qui elle a voté. Mais elle accepte de faire la liste des valeurs qu’elle aimerait défendre : les droits des femmes, le droit à l’avortement en particulier, les sources d’énergie alternative, l’éducation…
Si son mari Ryan Phillippe vient de tourner sous la direction de Clint Eastwood, aucun grand nom dans la filmo de Reese. Elle sourit : « Ça viendra. D’ailleurs, regardez : James Mangold a une très bonne réputation et il m’a choisie pour Walk the Line. Du coup, j’ai accepté de baisser mon cachet (de dix millions de dollars par film depuis Fashion victime).« Mais si l’on a bien suivi la démonstration, c’est son statut de troisième actrice bankable du moment (après Julia Roberts et Nicole Kidman, selon The Hollywood Reporter) qui a permis à Reese de décrocher ce rôle en or où elle peut déployer tout son talent de comédienne.
Et le fait est qu’elle est absolument formidable dans le rôle de cette June Carter qui pendant douze ans n’a pu aimer Johnny Cash que sur scène, avant de finir sa vie avec lui. Frémissante, déterminée, responsable, maternelle, Reese donne les plus subtiles nuances à son interprétation de June.
Il y a longtemps qu’on n’avait pas été aussi électrisé au cinéma que dans la scène où elle chuchote à l’oreille de Cash. « C’est mon premier rôle de femme. Je vais avoir 30 ans dans quelques semaines. Il fallait négocier ce tournant. Maintenant, c’est fait. Tant mieux, parce qu’il y a beaucoup de très bonnes actrices parmi les plus jeunes : j’adore Scarlett Johansson par exemple. Elle est extraordinaire dans Match Point. »
Voit-elle la trentaine comme un handicap dans un système hollywoodien obsédé par le jeunisme ? D’un ton tranquille, Reese lâche alors de sa petite voix, tout en replaçant une mèche blonde qui lui tombe sur les yeux : « Je vais changer ça. » Sur cette déclaration napoléonienne, elle précise que Walk the Line a dépassé les cent millions de dollars aux States. Le règne de Reese ne fait que commencer. ||
Sortie de Walk the Line le 15 février.