Urgentiste précaire dans « Hippocrate », Reda Kateb est un des comédiens les plus singuliers du moment. Retour sur un parcours qui alterne avec brio douceur et violence, rôles en France et aux Etats-Unis, Ryan Gosling et Kathryn Bigelow.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans Hippocrate, le premier film de Thomas Lilti ?
Reda Kateb – Le fait que le scénario allie finement des scènes de comédie et des choses plus dramatiques ; le soin apporté au réalisme dans la description du milieu hospitalier ; le regard porté sur l’état de certains secteurs du service public en France aujourd’hui. J’avais le sentiment que ça donnerait un film original. Et puis, le rôle me permettait de jouer des choses un peu différentes, d’aborder le conflit autrement que par la brutalité, ce que j’avais pas mal fait jusque-là.
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Une autre classe sociale aussi, non ?
Pas vraiment, parce que même si ce personnage est médecin, il est, en France, dans une position très précaire.
Quelle était la profession de vos parents?
Mon père, Malek Kateb, était comédien. Il est venu d’Algérie pour travailler avec Ariane Mnouchkine, Bernard Sobel… Il trouvait au théâtre des rôles étoffés comme on ne lui en proposait pas au cinéma. On a pu le voir dans Rabbi Jacob, L’Union sacré… Au cinéma, mon père n’a fait que des panouilles. La place de l’Arabe dans le cinéma français a changé.
Le cinéma était important pour vous comme spectateur quand vous étiez adolescent ?
Oui, j’ai toujours beaucoup aimé le cinéma. Adolescent, mes premiers grands chocs esthétiques ont été Pulp Fiction, Full Metal Jacket, Underground de Kusturica… Mais surtout Tarantino. Dans ses premiers films, il y avait quelque chose de nouveau et de sauvage. On sentait que ça ne venait pas du sérail et ça parlait directement aux ados. D’ailleurs, vingt ans plus tard, je pense qu’il n’a pas perdu ça. J’ai adoré aussi des acteurs américains, Harvey Keitel, Dustin Hoffman, plus tard Viggo Mortensen.
Votre socle de cinéma est surtout américain…
C’est vrai. J’ai commencé à m’intéresser au cinéma français plus tard. Notamment quand j’étais projectionniste au cinéma d’art et d’essai d’Ivry-sur-Seine, la ville où je suis né. C’est là par exemple que j’ai découvert les films d’Eric Rohmer. C’était loin de moi, de ce que je vivais et ce dans quoi je pouvais me projeter. Et pourtant ça m’a plu. Je me suis passionné ensuite pour Truffaut, Renoir… Leurs oeuvres restent des références très fortes pour moi.
Pour votre rôle dans Zero Dark Thirty, où vous êtes un djihadiste torturé, vous posez-vous des questions de morale : stigmatiser ou pas ce personnage de terroriste, provoquer ou pas de l’empathie pour sa souffrance ?
Je n’ai pas eu de discussions avec Kathryn Bigelow sur ces questions mais j’ai senti à son regard qu’elle voulait donner sa chance au personnage, que je devais jouer un être humain placé dans une situation où il est torturé, et pas son possible passé criminel. Le film ne juge ni n’excuse le personnage. Dans A moi seule de Frédéric Videau, je joue un personnage qui pourrait aussi être défini comme un monstre : il a kidnappé une enfant et la tient en captivité jusqu’à l’adolescence. Mais, avec le cinéaste, nous étions attachés à montrer sa complexité d’être humain.
Et quand vous apparaissez dans Les garçons et Guillaume, à table !, le temps d’une scène, pour proposer des rapports sexuels violents à Guillaume Gallienne, vous ne trouvez pas cela stigmatisant ?
Non, parce que c’est une comédie. Par principe, le trait est appuyé. J’ai accepté cette apparition parce que j’ai de l’amitié pour Guillaume Gallienne et que j’avais beaucoup aimé le spectacle dont le film est tiré. Ce personnage est homo, arabe, violent, mais pour moi ça ne raconte pas quelque chose de la communauté arabe ou homosexuelle. Il ne faut pas faire de la discrimination positive.
Vous ne vous posez jamais la question de la représentativité ?
Si, bien sûr. Mais je suis sensible aussi à la dérision, à l’autodérision, et cela pour toutes les communautés. Mais j’ai refusé beaucoup de scénarios parce que je les trouvais caricaturaux.
Vous refusez beaucoup de scénarios ?
Ben ouais… (rires)
Comment vivez-vous d’être assez demandé dans le cinéma français, et même un peu aux USA ?
Ah, je le vis bien. C’est gratifiant. J’essaie d’être à la hauteur de cette confiance. J’essaie aussi d’être dans des films qui ne prennent pas les gens pour des cons. Mais ça ne veut pas dire n’accepter que des films d’auteur. J’ai envie d’être dans un cinéma humain, pas cynique.
Comment s’est passée votre rencontre avec Ryan Gosling ?
J’ai été très intrigué de recevoir le scénario de Lost River, son premier film de réalisateur. Je l’aime beaucoup comme acteur, dans Drive, dans Blue Valentine… J’ai beaucoup aimé son scénario. Mon rôle n’était pas énorme en terme de présence à l’écran, mais j’étais content d’aller tourner à Detroit cette histoire très en prise avec le réel sur une mère de famille qui fait tout pour que sa maison ne soit pas saisie.
Ça vous travaille de passer vous aussi à la réalisation ?
Ça me travaille tellement que je vais réaliser mon premier court métrage à la rentrée (rires). J’ai un peu le vertige là, mais j’ai une belle équipe. Je n’ai pas de plan de carrière. Si ça se trouve, j’en réaliserai d’autres. Mais peut-être que ça s’arrêtera là.
Vous écoutez quoi comme musique ?
J’aime beaucoup la musique africaine. Je joue un peu de musique gnawa, musique des esclaves d’Afrique noire déportés par les Arabes. J’aime beaucoup de choses qui viennent du Mali, Toumani Diabaté, Ousmane Sangare… J’ai écouté beaucoup de reggae, de ska, de hip-hop. Ado, j’ai beaucoup suivi la naissance de la scène rap française. J’ai vu NTM et IAM lors de leurs premiers concerts. J’avais le sentiment d’accompagner l’essor d’une culture sauvage. Même si j’avais un père comédien et une mère infirmière, je reconnaissais néanmoins mon quotidien dans leur musique. Et j’ai compris aussi l’urgence de dire et de raconter des choses sans chercher poliment à se faire accepter. Si la porte ne s’ouvre pas, on tape dedans.
Pourtant, vous semblez d’un naturel très doux. Même quand vous jouez des truands, des criminels, vous le faites avec délicatesse et douceur.
C’était une image, taper dans une porte. J’ai pas dit taper sur quelqu’un (rires). Dans la vie, je suis contre la violence physique, je vous rassure. Quant à ce que je dégage sur l’écran, je ne le prémédite pas complètement. Je peux trouver très jouissif de jouer la violence à l’écran. J’ai débuté dans la série Engrenages. Pour mon premier jour de tournage, je devais arriver, engueuler un garagiste et avec un pied de biche exploser le pare-brise d’une voiture. Je me suis éclaté (rires). Je me suis dit, mais quel métier ! Il vous permet de péter des pare-brise de bagnole puis de rentrer tranquillement chez vous en étant payé (rires).
Propos recueillis par Jean-Marc Lalanne
Hippocrate de Thomas Lilti, avec Vincent Lacoste, Jacques Gamblin et Marianne Denicourt (sortie le 3 septembre) / Qui vive de Marianne Tardieu, avec Adèle Exarchopoulos (sortie le 5 novembre) / Lost River de Ryan Gosling, avec Christina Hendricks (prochainement)
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