Un Jennifer Lawrence movie fascinant où l’actrice paraît reprendre le contrôle de l’exhibition de son corps après avoir été livrée en pâture sur le net.
Côté face, un bon film d’espionnage réalisé par Francis Lawrence, cinéaste inégal (Constantine, Je suis une légende, De l’eau pour les éléphants) et néanmoins responsable, avec Hunger Games, d’une estimable saga pour jeunes adultes, écrin pour sa muse Jennifer Lawrence (aucun lien de parenté entre les deux). Côté pile, un film de et sur la dite muse – “de” au sens où l’actrice semble ici la véritable auteure – qui exploite les schèmes du genre pour raconter autre chose : la réappropriation de son corps et de son récit personnel par une star humiliée publiquement (en 2014, une fuite massive de photos érotiques avait meurtri cette dernière, qui avait caractérisé l’acte comme un viol, et refusé l’idée que son intimité puisse devenir un bien public).
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Le film raconte le destin d’une ballerine du Bolchoï à la carrière brisée en même temps que sa jambe, qui se voit obligée, pour payer les traites de sa chère mère – seule pointe de sentimentalisme dans un ensemble remarquablement sec – de devenir espionne-prostituée à la solde de Poutine : une sparrow, ou hirondelle en français. “Ton corps appartient à l’Etat”, lui répète ainsi son instructrice-maquerelle, Charlotte Rampling.
Certes il faut, si l’on veut apprécier Red Sparrow à sa juste valeur, avaler un certain nombre de couleuvres narratives et décoratives : ici par exemple, les Russes sont globalement très cruels, ne savent rien faire simplement, et s’expriment en anglais avec de ridicules accents qui ont pourtant dû coûter une fortune en coaching de roulage de “r” à la production (entre Jennifer Lawrence, Matthias Schoenaerts, Ciarán Hinds et Jeremy Irons, pas un pour rattraper l’autre).
Mais une fois acceptées ces quelques conventions, le film frappe et séduit à plusieurs égards. D’abord par sa mise en scène étonnamment graphique, d’une violence, d’une frontalité et d’un érotisme qu’on a peu l’habitude de voir dans le cinéma hollywoodien contemporain. L’horizon esthétique est ici celui de la fin des années 1980 début 1990, en accord donc avec l’intrigue de néo-guerre froide, et une production design assez peu technologique, à l’instar de deux autres réussites récentes du genre, The Americans et Atomic Blonde.
Mais ce qui fascine le plus est bien la partition jouée par Jennifer Lawrence, qui semble constamment s’adresser au spectateur pour lui susurrer, plus intimidante que jamais : “Tu voulais voir ? Eh bien, tu vois ; mais c’est moi qui choisis quoi et comment.” Pour un peu, on croirait voir passer au fond de ses yeux glacés le fantôme de Marlene Dietrich en Mata-Hari, dans Dishonored (Agent X27) de Josef von Sternberg.
Red Sparrow de Francis Lawrence, avec Jennifer Lawrence, Joel Edgerton, Matthias Schoenaerts (E.-U., 2018, 2 h 21)
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