Après « Belle épine », Rebecca Zlotowski scrute le monde des ouvriers du nucléaire dans « Grand Central » et fait de nouveau irradier Léa Seydoux.
Elle parle, elle parle, elle parle, Rebecca Zlotowski. Elle est intarissable sur son deuxième film, Grand Central, classique triangle amoureux plongé dans le bain toxique d’une centrale nucléaire. A l’origine, un roman d’Elisabeth Filhol, La Centrale.
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« C’est la première fois qu’on parlait avec précision du nucléaire, raconte la cinéaste, et c’était de la littérature. Je lis le roman dans la nuit, et dès le lendemain, ça se lève comme un choc émotionnel très fort. L’idée de faire dialoguer une histoire d’amour avec ce monde-là est née, comme j’insérais une fiction dans un milieu de motards dans Belle épine. C’était aussi la possibilité d’interroger l’état amoureux, un état un peu gazeux, indescriptible… Le cinéma me permettait peut-être de faire une pédagogie de la perception. »
Malgré la catastrophe de Fukushima, survenue en milieu d’écriture, Rebecca Zlotowski n’aborde pas le nucléaire sous l’angle spectaculaire mais avec une approche plus quotidienne. « Grand Central n’est pas un documentaire mais une fiction documentée. On ne pouvait pas faire l’économie d’une enquête. Le métier nucléaire agit sur le corps des hommes et je trouvais dommage que le cinéma n’explore pas davantage la façon dont les métiers modifient nos carcasses. »
Avec ses hommes à la dure, son village de caravanes, ses rives fluviales, Grand Central est infusé de cinéma, et des films comme Casque d’or, Toni, L’Etoffe des héros s’en échappent comme des émanations. La cinéaste assume ses références mais s’en méfie aussi : « Je n’aborde jamais le cinéma par les genres, je ne me dis jamais ‘on va écrire une comédie romantique ou un mélodrame social, etc.’ De même que je ne cherche jamais à m’inscrire dans un héritage ou contre un héritage. » Elle compare Grand Central à un essai sur la mélancolie, façon essais médicaux du XVIIIe siècle. « Je voulais percer le mystère de la mélancolie quand on a quelqu’un dans la peau. » Beau et vaste programme, au cœur duquel une Léa Seydoux transfigurée, presque masculine, tient une place… centrale. Actrice fétiche de Rebecca, Seydoux n’est pas son double mais son grand autre, aussi blonde que la cinéaste est brune. « Elle me touche par sa féminité sans minauderie, je suis très sensible à ça. Je trouve mon film très féminin… enfin, féminin, on finit par ne plus savoir ce que signifient ces notions. »
Le brouillage des genres, le chamboule-tout des catégories, l’altérité attirent au plus haut point Rebecca Zlotowski, femme qui filme un monde majoritairement masculin, Parisienne petite bourgeoise regardant des ouvriers provinciaux. Elle s’insurge contre l’idée d’un cinéma du « chacun à sa place » : « Renoir a fait Toni, c’était un grand bourgeois, et alors ? On s’en bat les couilles ! Le cinéma sert à ça, visiter des mondes étrangers et les observer de façon intègre. »
Rebecca Zlotowski est venue aux images par la culture télé. Son père (l’interprète-traducteur Michel Zlotowski) lui interdisait le petit écran, mais la petite Rebecca matait en cachette La Cinq, les clips, les films d’horreur, les séries nazes, les navets érotiques de M6… Un jour, elle perd sa mère. Une amie de la maman est prof, responsable de l’option cinéma du lycée. Rebecca s’y intéresse, découvre le grand cinéma, Fritz Lang, les Italiens. Elle fait des études, ENS, puis Fémis, devient prof de français et de cinéma. « Je donnais des cours sur le documentaire, mais j’étais une prof nulle, je ne préparais pas. J’ai aussi enseigné le français en montrant des clips de Michael Jackson comme Thriller…Mais je ne me voyais pas faire ce métier dix ans. Mon envie, c’était d’écrire des films – pas forcément de réaliser. » C’est son producteur qui la poussera derrière la caméra.
Personnalité marquante du « jeune cinéma français », Rebecca Zlotowski est restée très gourmande de films et notamment de ceux de ses camarades de génération. Elle cite Céline Sciamma, Katell Quillévéré mais aussi Claire Denis, Alain Guiraudie, elle collabore avec Teddy Lussi-Modeste, Yann Gonzalez ou Philippe Grandrieux, a aimé La Bataille de Solférino de Justine Triet, s’intéresse au cinéma philippin, de Brillante Mendoza à Raya Martin, elle admire Doillon ou Brisseau (qui fut son prof). « J’aime bien les cinéastes qui m’apprennent comment me maquiller, m’habiller, rouler une pelle ! » Au-delà de son intelligence et de sa curiosité, on admire chez Rebecca Zlotowski son aplomb, son caractère cash. Elle adore Paul Thomas Anderson et en profite pour me reprocher ma critique négative de There Will Be Blood : « J’étais dégoutée par Les Inrocks cette semaine-là : Cloverfield, qu’on oublie deux secondes après l’avoir vu, dix-huit étoiles, et There Will Be Blood, ‘faux chef-d’oeuvre’ ! Putain, des ‘faux’ chefs-d’oeuvre comme ça, je veux bien en faire. » Plus loin, alors que je lui demande si elle et son supposé compagnon Jacques Audiard ont des conversations de cinéma, elle me renvoie dans les cordes car elle estime ma question misogyne, sans intérêt et au-delà des limites de la vie privée. La Zlotowski possède une personnalité aussi entière que forte, dont a besoin le cinéma français. Laissons-nous contaminer par les amours toxiques de son Grand Central.
Grand Central de Rebecca Zlotowski, avec Tahar Rahim, Léa Seydoux, Olivier Gourmet en salle le 28 août
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