Rencontre avec la cinéaste Rebecca Zlotowski, dont le dernier film “Les Enfants des autres” est actuellement en salle. Avec elle, nous avons parlé de parité au cinéma, de la question des plateformes de streaming et de Godard.
On pouvait voir dans Une fille facile des références au Mépris de Godard. Comment avez-vous réagi à l’annonce de sa mort ?
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Il y a le plan de la crique qui est effectivement une citation d’un plan de Bardot dans Le Mépris, quand Piccoli l’observe en contre-plongée. Mais au-delà de Godard, c’est surtout à la mythologie de Bardot à laquelle j’ai essayé de me connecter avec le personnage joué par Zahia, pas forcément celle du film de Godard, plutôt des films de Louis Malle. Le personnage de Haydée Politoff dans La Collectionneuse de Rohmer était aussi une de mes grandes références. La mort de Jean-Luc Godard, et notamment la façon dont il l’a provoquée, m’a émue, comme tout le monde. Il était le symbole d’une sorte de cinéma total, et le seul habitant d’un continent de cinéma qu’il avait lui-même bâti.
Est-ce que Godard a beaucoup compté dans votre formation ?
Évidemment, mais sans forcément être influencée. Il avait une façon si particulière de faire ses films, quelle que soit la période artistique qu’il traversait, que je pense que personne ne peut se réclamer héritier ou héritière de Godard.
Les Enfants des autres reprend les codes du grand mélo à la Douglas Sirk. Avez-vous abordé le film sous cet angle du genre ?
Assez peu, étrangement. J’ai eu l’intuition, sans doute naïve, qu’étant donné la dimension autobiographique du projet, il ne fallait surtout pas en rajouter stylistiquement, retrancher au maximum les effets visibles de la mise en scène. Même s’il y a dans le film des gros plans ou des fermetures à l’iris, je pense qu’il est moins stylisé que mes précédents longs métrages.
On pourrait dire qu’il y a deux catégories de cinéastes, celles et ceux qui ont un dispositif stylistique qui se répète, une signature identifiable en quelques plans, je pense à Mia Hansen-Løve, Hong-Sang soo ou Leos Carax, et celles et ceux qui, au contraire, changent de style à chaque projet, comme par exemple Brian De Palma. Je crois que j’ai découvert que j’appartenais à la seconde catégorie. J’aime m’adapter, changer de langue suivant les films. Pour revenir à Brian De Palma, ce qui est fascinant chez lui, c’est que la multiplicité des styles coexistent avec des obsessions et des motifs qui confèrent malgré tout à l’œuvre une cohérence.
Sur la dimension biographique, vous expliquiez dans le dossier de presse avoir voulu faire un film pour donner une représentation à une expérience qui n’en avait pas.
Oui, il y a comme un vide de représentations sur la belle-maternité dans le cinéma. Je crois que ce qu’on cherche tous dans le cinéma c’est, du moins en partie, une façon de rendre la vie plus supportable. J’ai voulu créer ce qui m’avait manqué au moment où j’ai vécu ce que vit le personnage joué par Virginie Efira. Cependant, je n’ai pas fait ce film dans une perspective psychologique ou auto-analysante. S’il comporte bien une dimension réparatrice, elle concerne le champ de la représentation.
Sur la question des obsessions à l’œuvre dans votre filmographie – dans Les Enfants des autres, Belle Épine, Une fille facile, mais aussi dans votre série, Les Sauvages –, il y a une question assez centrale : où est-on à sa place ?
Oui, c’est vrai. L’arc narratif de mes films raconte souvent une tentative d’intégrer un milieu étranger et de s’y sentir à sa place. Même si vous aviez écrit dans votre critique que je suis la meilleure exégète de mes films, je ne sais pas pourquoi je reproduis ce schéma narratif. Mais il s’agit somme toute d’un mécanisme assez banale dans la fiction : raconter comment un personnage découvre un monde et tenter de l’intégrer. C’est aussi une façon d’entraîner le spectateur à rentrer dans la fiction et à s’identifier au personnage.
Celle qui rend possible cette identification, c’est Virginie Efira. Avez-vous écrit le rôle pour elle ?
Elle s’est très vite imposée dans ma tête. Avec Léa Seydoux et Marion Cotillard, elle fait partie de ces très grandes actrices avec lesquelles n’importe quel cinéaste a envie de travailler un jour. Mais il fallait qu’on trouve le bon projet et celui-ci se prêtait parfaitement à une rencontre avec Virginie. J’adore la façon dont elle incarne à la fois une sensualité cérébrale et une force chancelante. C’est une actrice avec laquelle il faut être à la hauteur, parce qu’elle délivre une émotion d’une telle intensité que le moindre accroc ou problème de justesse dans l’écriture se voit et s’entend.
“C’est aussi notre responsabilité de faire des films visibles et appréciables sur tous types de support”
En parallèle de vos films, vous avez aussi travaillé pour la télévision avec la série Les Sauvages. À l’approche des États généraux du cinéma, comment le débat “salle versus plateformes”, ou “série versus cinéma” vous touche-t-il ?
Est-ce qu’il y a un rapport à l’image différent entre la plateforme et la salle de cinéma ? Bien sûr. Mais ce sont deux choses différentes. Il ne faut pas confondre le support et le champ de la représentation. Tristan Garcia – que je trouve brillant – insiste sur le fait qu’il est capital de nommer les choses différemment. Il parle de flux narratif pour la plateforme en le différenciant du cinéma. J’adore les deux. Je suis consommatrice de flux narratif, et j’utilise le mot à bon escient, je suis collectionneuse de films de cinéma.
Dans ma pratique, j’essaie de proposer des produits non dégradés pour les plateformes avec une grande exigence sur la construction des personnages, sur le propos et le divertissement, et d’autres propositions cette fois calibrées pour le cinéma. Les Enfants des autres a été construit pour le cinéma, pour le temps long du cinéma. Je peux prendre le temps d’inviter mon spectateur dans le film plutôt que de vouloir le captiver dès les premières secondes.
Face à un écran domestique, l’image doit lutter à la fois contre un autre écran, celui du téléphone portable, mais aussi contre une foule d’autres potentielles distractions. Alors que la salle de cinéma est précisément fabriquée pour permettre une totale attention à l’image. Mon dernier film, plus qu’un autre, est fait pour le cinéma. Ça n’a rien à voir avec l’image, mais plutôt avec la construction du récit, avec son rythme. Je crois au pouvoir de la salle. Mais pas dans un rapport fétichiste à l’image. C’est aussi notre responsabilité de faire des films visibles et appréciables sur tous types de support.
La grande image de loin doit être accessible lorsqu’elle devient la petite image de près. De la même façon que le théâtre a survécu au cinéma, le cinéma survivra aux plateformes, c’est une évidence, mais il faut le répéter ! Surtout quand on voit le nombre de personnes qui sont dans une logique de Cassandre et qui se complaisent dans le plaisir à raconter la fin d’un monde. Et puis la cinéphilie s’est, d’abord et pour beaucoup, jouée sur des petits écrans. Nous n’avons pas tous pu faire notre éducation à l’image à la Cinémathèque. Je pense qu’il faut arrêter de tout mélanger. Et puis ce sont des débats d’arrière-garde. Cette révolution est là, il faut l’utiliser, l’améliorer, sans lâcher la rampe.
“Un monde du cinéma plus paritaire est sûrement un monde plus fluide et plus agréable”
Vous vous êtes beaucoup investie dans le collectif 50/50 et auprès de la Société des réalisateurs de films. C’est un engagement que vous souhaitez poursuivre ?
Oui, mais j’ai eu le sentiment d’avoir atteint les limites de l’action collective, et j’ai aujourd’hui envie de revendiquer mes idées. Militer à 50/50 et à la SRF a été passionnant, mais j’ai aussi réalisé que je ne pouvais pas être à la fois lobbyiste et cinéaste. Et j’ai choisi. Je me sens plus à l’aise et en contrôle de ma pensée dans ce rôle. En revanche, j’ai besoin du dialogue avec d’autres cinéastes, avec des femmes, beaucoup de femmes : Alice Diop, Lola Quivoron, Céline Sciamma… Mais aussi avec Bertrand Bonello, c’est justement lui qui m’avait conseillé de faire ce film sur la belle-maternité. Il y a un effet de traction artistique par l’amitié.
Vous diriez que le cinéma d’auteur français forme plus une bande qu’il y a une dizaine ou une vingtaine d’années ?
Peut-être. En fait, j’ai la sensation que la politique culturelle française nous protège des rivalités. Mais c’est vrai que je n’ai pas le sentiment qu’Assayas, Audiard, Desplechin étaient proches. Ça a aussi peut-être aussi à voir avec le genre masculin. Un monde du cinéma plus paritaire est sûrement un monde plus fluide et plus agréable.
Avez-vous déjà une idée de votre prochain film ?
Nous avons mentionné Brian De Palma. J’adore ses thrillers érotiques, et c’est justement ce genre-là que j’aimerais explorer dans mon prochain film. Je ne veux pas trop en dire, mais il y a dans le thriller érotique une dimension évidemment sexuelle, mais aussi un rapport à la féminité, au désir et au voyeurisme auxquels j’ai très envie de me confronter.
Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski. En salle.
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