En 2010, la 3D devait révolutionner le cinéma, aujourd’hui c’est la VR et l’interaction offerte au public. Reportage au salon NewImages, à Paris, pour savoir si cette mode passera le simple statu de gadget.
Souvenez-vous de la fin d’année 2009. De Pandora, de sa chatoyante forêt où James Cameron nous immergeait, lunettes 3D sur le nez. Dans le sillage d’Avatar, les Harry Potter, Hobbit et autres Avengers… Tout ce que l’époque comptait de blockbusters ont fait de cette technologie un argument de vente imparable – le pensaient-ils du moins. Près de dix ans après la rencontre des Na’vis, si la 3D a bien pris ses quartiers dans les plus grandes salles, le cinéma 2D n’a pas disparu. Au contraire, les téléviseurs qui proposent l’ex technologie du futur ont avoir rapidement fait leur temps.
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Le truc, c’est que le grand engagement d’immersion dragué par la 3D n’a pas tout à fait tenu sa promesse. Annoncée comme une révolution, cette technique n’a finalement pas redéfini grand chose : les salles de cinéma sont toujours les mêmes, les enjeux narratifs aussi. Et alors que la fin de la décennie 2010 pointe le bout de son nez, de nouvelles technologies arrivent avec la même promesse que la 3D en son temps : tout changer. Le festival NewImages, qui s’est tenu début avril au Forum des images, à Paris, offre un panorama de ces innovations – qu’elles se nomment récit interactif ou réalité virtuelle. L’occasion d’appréhender une prétendue révolution, ou comment la technologie pourrait durablement bouleverser la fiction.
Dépasser le stade de « l’expérience »
« Je ne pense pas que l’on puisse parler de révolution, plutôt d’évolution », corrige tout de suite Ed Solomon. Venu du cinéma – le script du premier Men in Black, c’est lui – le scénariste new-yorkais a développé avec Steven Soderbergh Mosaic, un thriller à la fois série conventionnelle, diffusée en janvier sur HBO et OCS en France, et application mobile interactive où l’on prend la même enquête par le bout que l’on souhaite. Si cette dernière n’est pas disponible de notre côté de l’Atlantique, elle peut être essayée dans le cadre du festival.
De même, plusieurs courts métrages en réalité virtuelle sont disponibles au NewImages. Certes, ce n’est pas la première fois que des casques de VR sont présentés au grand public. Il existe déjà plusieurs espaces à Paris et en province où, sorte de salle d’arcades 2.0, on peut s’offrir une « expérience » comme marcher à flanc d’un immeuble au dessus du vide, ou voler sur les toits de Paris moyennant quelques billets. L’intérêt du festival est bien de s’attaquer à la technologie par le biais du cinéma, plutôt que par celui de ces « expériences » – c’est-à-dire souvent de courtes démonstrations techniques, parfois sponsorisées par des marques, et où les enjeux narratifs sont rares.
« On a besoin de nos Eisenstein »
Cette approche a conquis Marc Caro pour faire partie du jury du festival. « Il ne faut pas que ces nouvelles technologies tombent uniquement dans les mains des marques et des publicitaires », explique aux Inrocks le réalisateur de la Cité des Enfants perdus. « Pour l’instant c’est surtout aux mains des artistes », se réjouit-t-il.
La société de production israélienne Eko, spécialisée dans les récits interactifs, a bien commencé par des films promotionnels, notamment un drôle de clip pour Like a Rolling Stone de Bob Dylan. « Au bout d’un moment, il nous a semblé que cette technologie devait être utilisée pour quelque chose de plus intéressant que juste vendre du soda », se souvient son créateur Alon Benari lors d’une conférence. Depuis le studio a développé plusieurs films interactifs, en réalité virtuelle ou non.
Réalisateurs et scénaristes s’accordent à dire que ces nouvelles formes de narrations ne sont qu’à leurs balbutiements. Par exemple, la réalité virtuelle « doit encore trouver sa propre grammaire », estime Marc Caro. Notamment la question physique doit être mieux appréhendée – généralement après 30 ou 40 minutes un masque sur le nez, on a la nausée. « On a besoin de personnes qui expérimentent, de nos Eisenstein ! »
Le choix, une illusion ?
Plus que jamais, ces innovations brouillent la frontière entre le cinéma et les jeux vidéo. « Nous prenons une technologie qui vient du gaming, reconnaît Alon Benari citant notamment le brillant jeux à choix multiples Life is Strange du studio français Dontnod parmi ses influences. Tout l’enjeu est de l’utiliser pour raconter des histoires davantage grand public, avec de vrais acteurs. »
» Depuis cent ans, la technologie a donné l’ensemble des pouvoirs aux réalisateurs, analyse-t-il. Aujourd’hui elle permet d’en déléguer un peu au spectateur. «
Ed Solomon n’est pas tout à fait d’accord. Pour le scénariste de Mosaic l’idée n’est pas de faire du jeu vidéo. « Eko et moi explorons la même jungle mais de manière radicalement différente, explique-t-il aux Inrocks. Personnellement, ça ne m’intéresse pas de laisser le spectateur créer sa propre histoire. Au final, malgré l’illusion de choix, nous les amenons là où nous le voulions. »
Convergence des luttes
Avec sa longue carrière dans le 7e art, le New-yorkais regarde ces nouveaux moyens de raconter une histoire avec beaucoup d’envie. Il travaille actuellement sur plusieurs projets interactifs. « C’est beaucoup plus long à développer qu’un film standard, mais c’est tellement plus fun et aventureux », se réjouit-t-il. « Surtout que plus on pratique ce type de narration, plus on voit clairement comment créer une unité dans une œuvre. »
D’autant que si « toutes les histoires peuvent se raconter de cette manière », comme le remarque Ed Solomon, on observe que la question de l’interactivité avec le public est sans doute celle qui offre le plus de possibilité à l’avenir. « La linéarité même du cinéma est remise en question, abonde Marc Caro. Il y a encore beaucoup de chose à expérimenter et notamment comment conjuguer techniquement la VR et le faite de faire un choix. »
Ainsi, le film Broken Night du studio Eko propose un récit à la première personne, où le spectateur, casque sur la tête, est interrogé par un officier de police et doit lui raconter ses souvenirs de la veille au soir. « Pour cela, il s’agit de choisir entre deux scènes proposées qui ont des impacts différents sur le scénario, développe Alon Benari. Mais en voir une c’est – physiquement – tourner le dos à l’autre et faire un trait dessus. »
Salles de ciné VR
Reste que ces projets sont chers, pour une diffusion pour l’instant assez confidentielle – même si les grands festivals de cinéma s’ouvrent petit à petit à la VR. Mais fort de sa hype, notamment portée par Mark Zuckerberg dont Facebook a misé plusieurs milliards de dollars sur les casques Oculus, cette nouvelle fiction parvient à conquérir certains financiers du cinéma traditionnel. Le CNC donne, par exemple, de l’argent pour ce type d’expérimentations. Lors d’une conférence de NewImages, Antoine Cayrol, à la tête de la société de production Atlas V spécialisée dans les films en VR raconte qu’il a pu financer une série en réalité virtuelle en vendant à TF1 une série traditionnelle qui se déroule dans le même univers.
De même, Mosaic a pu voir le jour grâce à l’argent de la chaîne câblée américaine HBO :
» Au départ ça ne devait être qu’une appli pour Apple, se souvient Ed Solomon. Par la suite, nous avons voulu la développer pour Android, aussi il fallait plus d’argent. Steven Soderbergh a donc vendu à HBO Mosaic sous la forme d’une série. «
En ce qui concerne la VR, l’onéreuse question du matériel ne permet pour l’instant pas d’imaginer une diffusion très grand public. « Pourquoi les gens achèteraient cher un masque alors qu’il faudrait le changer tous les six mois », s’interroge Antoine Cayrol. Le producteur prédit une explosion dans les prochaines années de salles, comme le Forum de Images, le MK2 Bibliothèque ou la Géode, qui proposent des films en réalité virtuelle. D’ailleurs, plusieurs cinémas uniquement VR où l’on peut venir entre amis pour une séance chacun assis sur son fauteuil panoramique existent déjà en France.
« On est de retour au début du phonographe », conclut Marc Cari, émerveillé. « On commence à peine à créer un art plus complet et sensitif. Est-ce que cela remplacera le cinéma traditionnel… on pouvait déjà dire pareil de la télévision. Au contraire, ces innovations ouvrent beaucoup de portes. »
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