Coup de gueule de Jean-Baptiste Morain contre la tendance à croire que les avis des critiques de cinéma sont écrits d’avance. Non, les critiques ne jugent pas les films avant de les avoir vus.
Depuis l’élection de Sarkozy, on s’était peu à peu habitués – très mal en vérité – à la nouvelle morgue rhétorique des vainqueurs. En particulier, les membres les plus en vue de l’UMP (Xavier Bertrand, Jean-François Copé), lorsqu’ils se manifestaient dans une émission de parlote culturelle, utilisaient une belle technique pour discréditer systématiquement leurs opposants artistes (Charles Berling en fut une fois victime chez Ruquier) :
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« C’est normal que vous ne soyez pas d’accord avec nous, puisque vous êtes de gauche. »
Une méthode très déstabilisante, basée sur une inversion dialectique, à laquelle la réponse la plus sensée devrait être :
« Non, c’est le contraire : je suis de gauche parce que je ne suis pas du tout d’accord avec vous, avec votre façon de voir le monde, avec votre action et vos procédés. »
D’abord la politique, maintenant le cinéma
Et voilà que, depuis peu, il semble qu’une partie de la critique de cinéma française, même quand elle se dit « de gauche », se soit emparée de la technique.
Si jamais vous écrivez : « Le film de Tavernier est nul », ceux qui prétendent ou croient aimer ce film (car on ne peut imaginer qu’il puisse être possible d’avoir aussi mauvais goût) vous disent avec cette petite bouche en cul de poule qui est celle des maître d’hôtel français dans les films de Lubitsch : « C’est normal, tu écris aux Inrocks, on n’en attendait pas moins de votre magazine. C’était attendu. » Rappelez-leur que le précédent film de Tavernier, Dans la brume électrique, a été défendu dans nos colonnes, ils n’en démordent pas et passent à autre chose.
Si vous vous emportez contre les critiques d’un grand quotidien national de droite qui s’en prend violemment à la Palme d’or parce qu’elle n’est pas de leur goût, la réaction est la même : « C’était attendu. »
Si nous critiquons un film, c’est que nous l’avons trouvé mauvais
Or je voudrais rappeler ici une simple chose : nous ne pensons pas du mal de La Princesse de Montpensier de Tavernier parce que nous sommes des Inrocks, mais parce que nous l’avons (hélas) vu et que nous l’avons trouvé très mauvais. Si nous défendons Oncle Boonmee de Weerasethakul face à l’agressivité beaufisante de ses détracteurs les plus virulents, ce n’est pas parce que nous sommes les Inrocks mais parce que nous avons réellement aimé le film.
Car derrière ce « C’est attendu », il faut bien sûr lire en filigrane une accusation : nous déciderions, avant même de les avoir vus, du sort que nous réserverons aux films. Tout ceci est faux.
Quand nous avons appris que Tavernier, dont il est vrai que nous n’avons jamais été des fanatiques, avait adapté une nouvelle de Madame de Lafayette, notre curiosité a été éveillée. Nous nous sommes dits :
« Il y a un enjeu, il faut le voir. Mais tu crois que Tavernier saura en faire quelque chose de bien ? Il est souvent lourdingue ? Oui, mais s’il fait du Cottafavi, il faut voir, on ne sait jamais, il a été sélectionné en compétition officielle, quand même. »
Nous l’avons vu, en entier, et nous fûmes déçus pour la plupart, en colère même pour certains d’entre nous.
Avant la projection du Weerasethakul, nous étions tous un peu anxieux : « Et si c’était son plus mauvais film, et si ce film-là était raté ? Depuis le début de la compétition, en dehors de deux films, nous allons de déception en déception. Du coup, nous attendons beaucoup de Weerasethakul… Peut-être qu’on se met trop la pression autour de ce film… » Or nous en sommes sortis enchantés, et certains d’entre nous étaient au bord de pleurer.
Chaque fois que nous allons voir un film, nous avons l’espoir d’être émus
C’est le seul message que je souhaite faire passer ici. Il n’y a jamais rien d’attendu. Chaque fois que nous entrons dans une salle de cinéma pour découvrir un film, nous avons l’espoir, même infime, qu’il soit bon, voire génial, et que nous serons joyeux et émus quand nous en sortirons.
Si ensuite nous nous en sommes pris aux critiques du Figaro ou d’ailleurs, c’était pour défendre Apichatpong Weerasethakul, traîné dans la boue avec des arguments qui nous paraissaient non seulement injustes (ennuyeux, prétentieux, grotesque, incompréhensible), mais aussi lamentables. C’était attendu ?
Eh bien oui, puisqu’il faut le dire : chaque fois que la bêtise viendra trompeter sur la place publique, attendez-vous à ce que nous intervenions pour lui répondre et la contrer.
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