Sec et tendu, le portrait fort d’un nanti au moment de l’effondrement.
Sur le papier et sur l’écran, rien que de plus classique : une histoire policière qui raconte, de manière liénaire et avec une belle sobriété, le récit de l’enlèvement d’un homme d’affaires médiatique (Yvan Attal), puis sa séquestration, les pourparlers des ravisseurs avec la famille et les associés, la remise de la rançon, l’enquête policière, etc. Tout dans la mise en scène et en images de Lucas Belvaux semble suggérer d’autres pistes de réflexion. Robert Bresson professait que plus une histoire est simple, plus il y a matière à filmer. Qu’une personne est multiple, donc que la présence d’autres personnages donne autant de points de départ et de déclinaisons possibles. L’avantage de ce type de cinéma, c’est qu’il laisse la porte ouverte à toutes les interrogations sans jamais fermer le sens.
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Le ton du film de Belvaux est très sec, rigide, sérieux. Parce qu’il s’agit d’une affaire policière, d’un film noir, tout devrait nous amener à la comparaison la plus évidente en ce domaine, une influence essentielle et écrasante dans le cinéma contemporain, de Tarantino à Jarmusch en passant par Johnnie To : celle de Jean-Pierre Melville (lui-même un bressonien). Or, c’est à Rossellini que l’on pense parfois. Pourquoi ? C’est là que le côté expérimental, entomologiste du film ressurgit dans notre raisonnement. Parce que Belvaux se contente de décrire les conséquences d’une telle histoire (au fond, peu importe qu’elle soit inspirée par le kidnapping du baron Empain dans les années 1970) dans le contexte de notre époque et de l’état du développement de nos consciences et de nos sociétés. Or, la noirceur de Rapt (titre implacable et tranchant) se situe moins dans les événements qu’il décrit que dans le comportement et la psyché des êtres qu’il nous montre. Ici, chacun a ses raisons, mais elles ne sont jamais bien belles à avouer. Comme dans l’enlèvement d’Aldo Moro par les Brigades rouges en Italie (événement quasi contemporain de celui d’Empain), il s’avère par exemple très vite que l’enlèvement de Graf arrange beaucoup de monde. Qu’il va enclencher une tempête médiatique qui met sur le devant de la scène la vie privée tumultueuse de l’homme d’affaires. L’enlèvement tourne au jugement, sa famille se détourne de lui, ses amitiés professionnelles volent en éclats, sa vie s’écroule. Son intimité violée, il se retrouve seul, avec l’impossibilité d’échapper à son passé. Mais le constat n’est pas que psychologique, il est en même temps politique, historique et sociologique. “Dans une telle situation, voici ce qui advient dans notre civilisation”, semble dire Belvaux. Avec, au final une interrogation philosophique très contemporaine : doit-on profiter de son temps de vie comme on l’entend, dans une liberté absolue, sans tenir compte des conséquences de ses actes sur la vie de ses proches ?
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