Dans la lignée de Black micmac, une nouvelle comédie sans prétention ? mais aussi sans cynisme de Thomas Gilou. Après les Africains de Paris, le cinéaste ouvre avec Raï son regard chaleureux vers la communauté beur de Garges. Médiatiquement parlant, Raï n’a pas de bol le film de Thomas Gilou arrive en queue du train […]
Dans la lignée de Black micmac, une nouvelle comédie sans prétention ? mais aussi sans cynisme de Thomas Gilou. Après les Africains de Paris, le cinéaste ouvre avec Raï son regard chaleureux vers la communauté beur de Garges.
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Médiatiquement parlant, Raï n’a pas de bol le film de Thomas Gilou arrive en queue du train à la mode du moment, le banlieue-film. Sans compter que tous les petits wagons sont largement camouflés par l’épaisse couche de fumée s’échappant de la rutilante locomotive La Haine. « Quand j’ai voulu ce film, explique Thomas Gilou, personne n’en avait encore fait sur la banlieue. Le phénomène de mode se crée car les financiers s’intéressent à un moment donné à ce genre de films. Je trouve ce phénomène positif dans le sens où l’on voit que ces gens existent, qu’ils ont des trucs à raconter, que ce sont des comédiens formidables, possèdent un type de jeu inédit. » A priori, Raï ne dispose pas des atouts séducteurs de ses prédécesseurs: ni la facture léchée et les ambitions esthétiques de Kassovitz ni l’âpreté et l’aspect démo de contrebande du film de Richet et Dell’Isola. Banlieue ou pas banlieue, Raï s’inscrit dans la logique des films de Thomas Gilou, cinéaste dépourvu de prétentions, si ce n’est celle de communiquer avec son public par les émotions les plus simples et les moins faisandées. Il faut donc regarder Raï à l’aune de Black micmac: un même regard chaleureux sur les rites, les travers et les particularismes d’une de ces communautés qui forment le tissu de la France contemporaine, une vision à hauteur d’homme, une veine comique qui essaye d’éviter aussi bien le cynisme supérieur que la complaisance grasse. Avec Raï Gilou renoue avec un genre qui se fait rare dans le cinéma français : la comédie populaire ? mais pas populiste ?, un rire sans mépris, scorie contemporaine de la planète Pagnol et de la comédie italienne des années 6o. La réussite de Raï tient à ce que Thomas Gilou n’a pas débarqué à Garges-les-Gonesses entomologiste distant, mais avec une véritable envie d’aller vers l’Autre. Il a fait son film avec la communauté de Garges, organisant la fusion entre le monde de la cité et celui du cinéma, entre acteurs professionnels et talents aussi naturels qu’amateurs débusqués sur place. « J’ai commencé à chercher des comédiens et je me suis aperçu que je ne trouvais pas la texture de jeu adéquate; il n’y avait pas beaucoup de Rebeus dans les agences et, dans les cours, c’était pire:il n’ en avait carrément pas !Je me suis dit qu’il fallait aller sur le terrain. Avec le chargé du casting, on est parti faire le tour des banlieues parisiennes. » C’est donc à Garges, lieu du tournage, que Gilou a déniché les deux tiers de sa troupe, par exemple Micky El Mazroui, véritable titi de banlieue, petite bombe d’humour et d’énergie: «On est allé au Pub. se souvient, amusé, le cinéaste, où se réunissent tous les jeunes et on leur a expliqué qu’on cherchait des gens pour un film. Et j’ai vu une espèce de sauterelle verte, avec des lunettes de mercure, des bagues plein les doigts et des chaînes en or qui brille, Je me suis dit qu’il avait l’air d’un sacré modèle. En plus, il me fait: «Ouais, moi, j’suis comédien, j’suis bon, j’vais l’faire… » Micky a beau ressembler à son personnage, lui et ses copains amateurs se sont vite rendus compte qu’un tournage demandait aussi un peu de boulot et quelques responsabilités occasionnant leur part de stress. « J’avais vraiment la trouille, raconte Faisal Attia (qui collabore aussi à la bande originale). Je me disais, si j’assure pas, il n’y aura pas de reconnaissance de la part du public. » Ainsi s’est construit la dynamique contagieuse de Rai dans cet amalgame entre vécu et travail, ce travail de troupe entraînant acteurs amateurs et professionnels dans le même sillage.
L’un des faits saillants de Raï? qui sera d’ailleurs peut-être reproché à Thomas Gilou ? c’est la présence de Tabatha Cash. Questions spontanées et instinctives que vient foutre ici la reine du porno, la pétasse de Skyrock, la poupée à paillettes de Canal ? Trahison! Récup! Or, avant de passer Tabatha à tabac, il faudrait réfléchir un petit peu. Elle-même originaire d’un milieu prolo banlieusard, elle est devenue une icône de HLM, punaisée en poster dans les chambres des cités, queen du film de cul, genre populaire par excellence au même titre que le kung-fu ou le film de gangsters. « Quand je l’ai choisie, raconte Gilou, elle était connue uniquement dans le milieu du porno. Je ne l’ai pas regardée du point de vue du physique et, de toutes façons, je n’ai pas d’a priori sur les gens. Je cherchais une fille qui puisse s’intégrer dans la bande, dans l’univers que je créais et qui soit crédible dans le rôle d’une fille de cité. » Le choix de Cash procède donc d’une certaine cohérence, mais la raison essentielle et suffisante de sa présence dans Rai; c’est que dans la peau de la belle Beur émancipée qui ne pense qu’à quitter son milieu trop étouffant, elle assure. «Elle a cartonné aux essais et dans le film. Il y a eu un gros travail de répète car elle avait l’impression d’avoir l’expérience du cinéma, mais Raï, ce n’est pas le même travail que sur un porno. En plus, elle a du courage, car dans certaines conditions particulièrement difficiles, elle a su résister. Il y avait trois cents personnes autour du plateau qui regardaient, qui rigolaient, il y a eu des moments tendus, des échanges de coups de feu… Le problème est que, dans une cité, chacun joue un personnage Quand on fait un film dans ces conditions, chacun a envie de s’exprimer en tant que comédien et face à la caméra, et il se crée une sorte de jalousie qui génère de la tension. » On peut aiguiller sur Raï quelques-uns des éloges adressés à La Haine: l’intégration réussie de gars des cités dans le cadre d’un film, le naturel formidable des comédiens, leur aisance dans les gestes et le verbe, la consécration du patois des banlieues contemporain, effet d’un glissement tectonique du français frotté à tous les métissages… Si la mise en scène de Gilou es beaucoup moins ambitieuse (flashy ) et stylisée (voyante ) que celle de Kassovitz, cil marque aussi de jolis points: Raï ne cherche pas à idéaliser la banlieue en la passant au filtre séduisant d’une esthétique Reebok ou cédant à un humanisme trop simpliste à la United Colors of Benetton. Le film n’oublie pas la haine rampante entre bandes rivales (e pas seulement entre jeunes et flics ou bourgeois), la douleur des familles et des mères impuissantes, ou le cancer de la dope qui gangrène beaucoup de rêves et d’énergie. Avec le personnage du junky, Samy Naceri, jeune comédien beur en devenir, trouve un rôle à la mesure d’une ambition naissante. «C’est un beau rôle, un rôle dramatique, avec une bonne palette d’émotions diverses, mais je l’appréhendais. Je devais me prouver de quoi j’étais capable et montrer aux gens que je suis comédien. Ma mère flippe, elle a peur de venir la projo. Elle est fière de moi, mais ce rôle de toxico l’effraie. » Ce personnage en pleine chute, qui fait le malheur de sa mère et de s grand frère, cristallise des fractures qui se multiplient aussi à l’intérieur des cités. avec l’envie Rien n’est simple et Gilou en tient comptesans moralisme ni didactisme. A la fin de Raï Djamel le costaud non violent, le grand frère raisonnable, craque et rejoint le groupe en colère élancé vers l’une ces nuits d’émeute qui meublent l’actualité sociale contemporaine. Un jaillissement de violence que certains esprits sécuritaires pourront interpréter comme un appel complaisant à l’émeute. Thomas Gilou convoque Jean Genêt à la barre: «Il disait qu’il fallait faire des différences entre les violences. La violence est naturelle et elle doit s’exprimer; ce qui n’est pas naturel, c’est la brutalité. » (Allusion à l’article de Jean Genêt sur la Royal Air Force, «Violence et brutalité », publié dans Le Monde en déchaînement final des énergies doit se lire positivement: pour la jeunesse délaissée des cités, la casse reste l’un des seuls moyens de se fa vraiment entendre, un système d’autodéfense qui sera désormais encore plus valide du côté de Toulon, Orange ou Marignane. Il se trouve qu Raï tombe pile-poil dans le contexte électoral qu’on connaît, mais Gil se défend du politique au premier degré. « Dans Raï, il y a une interpellation plus qu’an discours politique. Je pose un point d’interrogation regardez ce film, et réfléchissez. Je n’apporte pas de solution, ma démarche et ma solution, c’est mon travail d’artiste. Mon action ne doit pas être didactique. Je tente de comprendre les choses de l’intérieur.
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