À l’occasion de la ressortie en salle de son éblouissant “Le Dieu noir et le diable blond” (1964), retour sur le parcours et l’oeuvre de la figure centrale du Cinema Novo, au Brésil.
Sans doute est-il difficile, aujourd’hui, de mesurer l’aura qui fut celle de Glauber Rocha dans les années 1960. Car l’auteur du Dieu noir et le diable blond ne fut pas seulement la figure centrale du Cinema Novo, équivalent brésilien de la Nouvelle Vague française, il en fut aussi, et peut-être surtout, son prophète.
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Né à Vitoria da Conquista, petite ville de l’intérieur de l’état de Bahia, en 1939, Glauber Rocha se fait remarquer, dès le milieu des années 1950, au ciné-club de Salvador da Bahia, la capitale de cet État immense du Nordeste brésilien. Très actif dès cette époque, le futur cinéaste découvre le grand cinéma soviétique, dont il héritera d’un goût pour le formalisme, ainsi que les grands films sociaux américains de John Ford ou King Vidor, qui nourriront sa pensée sociale. Dès 1957, le groupe de cinéastes qui vont être à l’origine de l’explosion du Cinema Novo se forme notamment autour de Nelson Pereira dos Santos, déjà actif depuis le milieu de la décennie. Glauber Rocha s’agrège naturellement à cette communauté qui rappelle celle que formaient les jeunes turcs des Cahiers du cinéma, en France, exactement à la même époque.
Avec Le Dieu noir et le diable blond (1964), Rocha va frapper un grand coup
En 1958, il tourne son premier court métrage, O Patio, un essai assez formaliste, mais c’est surtout avec Barravento (1961), son impressionnant premier long métrage, qu’il va se faire remarquer. Dans ce film, tourné dans un village de pêcheurs de l’État de Bahia, l’héritage du néo-réalisme italien est très visible. Mais le film se distingue par un mélange entre documentaire et exaltation magique tout à fait unique. Le Brésil de Rocha n’est pas celui de la bossa nova, musique raffinée, née peu de temps avant dans la zone sud de Rio, plutôt aisée et blanche. C’est un Brésil marqué par la pauvreté extrême et l’exploitation forcenée, un Brésil noir, tout sauf exotique, dont l’âpreté demeure encore aujourd’hui assez sidérante.
Avec Le Dieu noir et le diable blond (1964), qui ressort opportunément dans les salles françaises, Glauber Rocha va frapper un grand coup. Cette chanson de geste, tout à la fois très moderne et volontairement archaïque, se distingue d’abord par l’aridité et la blancheur du paysage du sertão, désert plutôt hostile, dominé par la féodalité des rapports sociaux entre exploiteurs et exploités. Si, à l’époque, Rocha est imprégné d’une pensée marxiste, son film échappe pourtant à une lecture idéologique trop univoque. La folie qui y règne sans partage n’y est pas pour rien. Visuellement éblouissant, Le Dieu noir et le diable blond tient à la fois d’Eisenstein, du Pasolini syncrétique qui revisite les mythes, celui de L’Évangile selon St Matthieu et de Médée, et des westerns sauvages de Sergio Corbucci, tels Django ou Le Grand silence. S’il pointe l’addiction du peuple brésilien à la religion et à le pensée magique, Rocha ne fait pas pour autant un film militant, loin s’en faut. Son sujet est plutôt la confusion et le dérèglement grandiose d’un système de valeurs religieuses et politiques. Cérémonial baroque, musical et chorégraphique, Le Dieu noir et le diable blond est sélectionné en compétition à Cannes, en 1964. S’il ne remporte pas de prix, le film est remarqué, d’autant qu’il s’inscrit dans l’explosion des Nouvelles Vagues du monde entier.
Chaman d’un cinéma incantatoire et magique
1964 est aussi l’année où la dictature militaire s’installe brutalement au Brésil. Une dictature qui n’empêchera pas, dans un premier temps, Glauber Rocha d’enchaîner les grands films, comme le fascinant Terre en transe (1967) ou Antonio das Mortes (1969), dans lequel il reprend le personnage du tueur de Cangaceiro (bandit brésilien), à la solde des grands propriétaires, déjà présent dans Le Dieu noir et pour lequel il remporte le prix de la mise en scène au festival de Cannes millésimé 1969… Plus qu’un cinéaste, Glauber Rocha devient, à ce moment-clé de sa trajectoire, un vrai personnage haut en couleurs, une figure intellectuelle très influente et très active. C’est l’époque où Rocha se dépense sans compter pour défendre le Cinema Novo. Il écume les festivals du monde entier, même ceux où il n’est pas sélectionné, et devient ainsi le symbole d’un tiers-mondisme qu’il revendique avec panache.
Les années 1970 seront plus difficiles pour lui. Le durcissement de la dictature brésilienne, à la fin des années 1960, le contraint à l’exil. Il passe du Chili à Cuba, puis à la France – il vit, à ce moment-là, une grande histoire d’amour avec Juliet Berto, actrice godardienne – et bientôt à l’Italie. Le cinéaste errant rentre finalement au Brésil en 1976 en enfant prodigue. Entre temps, il a continué à tourner des films, mais son audience a largement faibli. Son retour dans son pays natal sera marqué par une certaine cacophonie, notamment parce qu’il tient des propos presque favorables à la junte militaire, dont le régime s’est, malgré tout, quelque peu assoupli. Avec L’Âge de la terre (1980), son dernier film, Glauber Rocha croit tenir son chef-d’œuvre, un film qui dépasse en folie tous ceux qu’il a tourné auparavant. Malheureusement pour lui, L’Âge de la terre est mal accueilli lors de sa présentation à Venise. Parallèlement, le cinéaste se brouille avec certains de ses anciens amis. Sa vie agitée va trouver son terme en août 1981. Il meurt d’un cancer mal soigné, à l’âge de 42 ans, laissant derrière lui une œuvre d’une puissance rare. Celle d’un surdoué, adepte du verbe haut, et chaman d’un cinéma incantatoire et magique, pas toujours facile d’accès mais constamment envoûtant.
Le Dieu noir et le diable blond (1964), de Glauber Rocha, sortie en salle le 30 août
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