Stylisation extrême de « Querelle de Brest » de Jean Genet, cette adaptation évite autant la pornographie que le ridicule.
Quand Fassbinder adapte Genet, les larmes coulent, les braguettes cuir explosent et la critique ne sait plus quoi inventer. Paul Burston d’Attitude officialise même pour l’occasion le néologisme homoeroticism. Et pourtant R. W. ne pêche pas que dans des eaux Marais-cageuses. C’est d’identité qu’il s’agit, davantage que de sexualité homo ou hétéro : le besoin de se voir une deuxième fois, en un autre extérieur à soi, pour devenir un être complet. Et accessoirement, la démonstration que pour être parfait, à part la sainteté, il n’y a que la méchanceté absolue. Loin de plonger dans la pornographie que d’aucuns appelaient de leur imaginaire à la lecture du grandiose bouquin, Fassbinder stylise à l’extrême, propose sa lecture à lui, forcément réductrice, mais néanmoins captivante. Lorsque Genet écrivait Querelle de Brest en 1947 dans sa cellule, il imaginait un port ouvert à tous les vents, traversé de personnages en transit, matafs ou dockers, ouvriers ou maçons, dans l’imagerie populaire des chansons et des romans d’aventure. Fassbinder, lui, supprime le Brest du titre, reconstruit en studio un univers hermétiquement clos, y dresse une citadelle phallique dans un décor de back-room où une nuée d’icônes gays survirilisées entoure un Brad Davis faisant très mâle. Chez Genet, la sodomie était l’instrument d’une ascèse à travers l’infamie. Chez Fassbinder, c’est une tractation comme une autre, même si elle peut aboutir en une sorte de « communion des saints » sacralisée par des chœurs religieux. Plus gênante est l’interprétation des deux frères jumeaux, Querelle et Robert dont l’absolue ressemblance physique joue un rôle capital dans la thématique érotique du livre , par des comédiens aux physionomies complètement dissemblables. Du coup, le secret de Querelle est réduit à l’amour pour un frère qui est une image morale incompréhensible de lui-même. Décidément, il faut mettre de côté le roman de Genet et se concentrer sur le cinéma de Fassbinder. Sur ses visions rougeoyantes, évoquant Michel-Ange ou Edward Hopper, aussi bien qu’Aubrey Beardsley. Sur son montage audacieux : arrêt sur l’image d’un rictus de Jeanne Moreau, par ailleurs charnelle, décatie, soyeuse. Sur sa maîtrise du mélodrame, lui permettant d’illustrer sans sombrer dans le ridicule cette phrase terrible d’Oscar Wilde : « Chacun de nous tue ce qu’il aime. »
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