Révélation incandescente de « Trois souvenirs de ma jeunesse » d’Arnaud Desplechin, il a tardé à revenir sur les écrans. C’est chose faite dans « Sage femme » de Martin Provost, qu’il traverse de sa nonchalance décalée. Portrait d’un jeune homme singulier
Dans Trois souvenirs de ma jeunesse (2015), Arnaud Desplechin imaginait la prime jeunesse de Paul Dédalus, le personnage interprété par Matthieu Amalric dans son film Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle), tourné vingt ans plus tôt. Pour ce prequel, le cinéaste avait choisi un comédien totalement inconnu, Quentin Dolmaire. Mais qu’en est-il de la prime jeunesse de Quentin Dolmaire avant qu’on ne le découvre en Paul Dédalus?
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Des sciences physiques au Cours Simon
Le garçon a grandi dans les Yvelines, a passé un bac S « que j’ai eu laborieusement« , dit-il en riant. Après un essai infructueux en fac de physique (« J’ai tenu un mois et demi« ), il s’inscrit dans une école de théâtre, le Cours Simon. « Depuis l’enfance, j’ai toujours eu envie d’être comédien. Mais comme beaucoup de personnes, je n’y croyais pas. Je me disais qu’il fallait d’abord que je trouve un vrai métier« . Ce désir d’être comédien est né de son goût, enfant, pour des acteurs de pur comique. Il cite Louis de Funes, Courtemanche ou les Monty Python comme modèle. Ce registre bouffon et grimaçant, il n’a pas encore eu l’occasion de le déployer au cinéma. « C’est bizarre parce que quand j’étais au Cours Simon, on m’a spécialisé dans les emplois comiques. Et ça m’allait très bien. Mais pour jouer l’émotion, l’amour, le tragique, on ne faisait pas appel à moi. Quand j’ai tourné Trois souvenirs…, je me suis retrouvé à jouer une gamme que je n’avais jamais eu l’occasion d’explorer. »
Rapper la langue de Desplechin
Lorsqu’il passe le casting du Desplechin, il ne connait pas les films du cinéaste. Il en regarde certains, ne les aime pas.
« J’étais pas cinéphile du tout. Je n’avais jamais vu un film de la Nouvelle Vague ; ça m’a paru difficile d’accès. Comme spectateur, les films où les personnages parlent sans arrêt m’emmerdent. En rencontrant Arnaud, j’ai mieux compris son cinéma bien sûr. Pour jouer ces longues scènes hyper dialoguées, ce qui m’a été le plus utile, c’est mon goût pour le rap. Certains rappers m’ont vraiment influencé, comme Despo Rutti ou Al Kapote. Leur flow permet d’apprendre plein de trucs sur la façon de dire un texte, de le prendre à bras le corps. Ce sont des athlètes. Despo Rutti a une façon de mettre tous les mots sur une même fréquence, de n’en négliger aucun, qui m’a vraiment servi pour Paul Dédalus ».
Trois souvenirs de ma jeunesse – EXTRAIT « Pourquoi elle est pas venue seule ? »
Acteur qui joue, acteur qui pense…
Son interprétation dans Trois souvenirs de ma jeunesse est éblouissante. Entre Matthieu Amalric et lui, quelque chose de l’essence du personnage se dessine, résonne, sans que jamais le jeune acteur ne semble dans la contrefaçon de son ainé. Quentin Dolmaire est nommé aux César dans la catégorie Espoir masculin, mais cette année-là, c’est Rod Paradot pour La tête haute qui l’emporte. On pense le revoir très vite, mais il faut attendre deux ans pour le retrouver. « J‘ai passé des castings, mais je n’ai pas été pris« . Le jeune comédien ne sent pas toujours ajusté avec les attentes du cinéma d’auteur français. « Moi ce que j’aime le plus comme spectateur, ce sont les acteurs qui composent, qui se transforment. Et ce n’est pas très valorisé en France. » Parmi les acteurs qu’il admire, il cite Patrick Dewaere, Philip Seymour Hoffman. « Arnaud Desplechin m’a permis de comprendre que jouer au cinéma, ce n’était pas forcément être dans l’acting pur, que ça pouvait prendre d’autres formes, beaucoup plus fines que ça. » Il s’interroge beaucoup désormais sur ce que cherche le cinéma d’auteur français, nous parle par exemple d’une phrase de Garrel disant qu’il « filme les pensées des acteurs« . « Moi a priori, ca ne me parait satisfaisant. J’ai envie de voir un acteur faire des choses, fabriquer un personnage, plutôt que de voir filmées ses pensées. Mais quand on regarde un film de Garrel, on comprend ce que ça veut dire. Ca porte une idée du cinéma »
Aujourd’hui et demain
Dans Sage femme, le film de son retour sur les écrans, il interprète le fils de Catherine Frot. Il charrie toujours une drôlerie contenue, ses inflexions de voix toujours aussi étonnantes. Le temps d’une scène seulement, il donne la réplique à l’autre actrice principale du film, Catherine Deneuve, dont il dit justement qu’elle incarne cette idée d’un jeu très contenu, dont Arnaud Desplechin lui a livré les clés. On le retrouvera bientôt pour un second rôle dans le nouveau film de Michel Hazanavicius, Le redoutable, dans lequel Louis Garrel interprète Jean-Luc Godard. Ensuite, il tiendra le rôle principal du deuxième long-métrage de Guillaume Brac : « Je suis vraiment très heureux de ce projet. J’aime beaucoup le premier film de Guillaume Brac, Tonnerre. Vincent Macaigne y était formidable. » La rencontre d’un acteur singulier avec un cinéaste qui ne l’est pas moins et sait remarquablement diriger les acteurs. Le tournage débute l’été prochain.
Dans les poches de Quentin Dolmaire (crédit Renaud Monfourny) :
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