Alors que sort en salle le très sensuel et poétique « Ava », premier film de Léa Mysius, jeune recrue Fémis (28 ans), également scénariste du dernier Desplechin, petit tour d’horizon des quelques premiers films français les plus forts des années 2010.
A quoi reconnait-on un premier film? Et bien parfois à ses traits communs, à ses tics aussi, à cette manière de faire de cette première fois un double accouchement : celui d’un cinéaste pressé de naître et du (souvent) jeune personnage de son film, lui aussi en pleine mutation, arpentant un chemin balisé de différents rites de passage. C’est ainsi que bien souvent le premier film, et Léa Mysius ne déroge pas à la règle, se transmute en récit initiatique, jouant allègrement avec les codes du roman d’apprentissage. Mais n’en faisons pas, bien évidemment, une généralité. Car il arrive aussi que la première fois se solde par tout autre chose avec tout de même, toujours, cette volonté, plus ou moins sage, de sauter dans le grand bain.
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Depuis l’éclosion, un beau jour d’octobre 1957, du terme Nouvelle Vague (dans les pages de l’Express) désignant d’abord la jeune génération de ces années-là puis celles des jeunes cinéastes, fraîchement débarqués de leur critique natale (Les Cahiers du Cinéma), le cinéma n’a cessé de chercher, dans la profusion de premiers films, à dégoter les cinéastes de demain – chaque nouveau né étant autopsié par la critique comme le possible héritier de la vague précédente. Dans les années 90, c’est autour de la figure tutélaire d’Arnaud Desplechin (entre autres) – dont le premier film, un moyen métrage incisif, La vie des morts, avait saisi la croisette lors de son passage cannois – que s’agrège un nouveau clan que l’on s’amuse à surnommer « les enfants de la Fémis » (même si tous n’y ont pas fait leurs premières armes). A l’époque et au vu de la réjouissante production de première oeuvre, la critique s’accorde à décréter l’arrivée triomphale d’un jeune cinéma français. Qu’en est-il aujourd’hui?
Qu’ils soient bien financés ou bricolés, sages ou frondeurs, légataires d’un certain héritage (celui très prégnant de Maurice Pialat depuis les années 90 jusqu’à aujourd’hui) ou affranchis de toute convention, les premiers films français de ces dernières années, ont, eux aussi, prouvé que le cinéma ne cessait de se réinventer. Sans résoudre l’épineuse et obsessionnelle question – « s’agirait-il d’une nouvelle Nouvelle Vague ? » – proposons un panorama des premiers films français les plus forts (à notre humble avis) des années 2010.
1) La bataille de Solférino de Justine Triet (2013)
C’est en 2013, dans la section ACID, qu’est présenté La Bataille de Solférino, premier long métrage de Justine Triet, qui nous plonge en plein second tour de l’élection présidentielle de 2012. Passée par les rangs des Beaux-Arts, ce n’est pas la première fois que Justine Triet, s’immerge dans la foule urbaine. En 2007, elle suit le mouvement du CPE et les affrontements qui s’en suivent dans Sur Place. A la même période, elle réalise un autre docu sur les élections présidentielles, Solférino, qui servira de maquette à la réalisation de son premier long. L’originalité et la réussite de La Bataille de Solférino doivent à la formation documentaire de sa créatrice et à sa capacité à construire une oeuvre éclatée dans laquelle différentes strates se mélangent : fiction (d’anciens amants qui se déchirent) et réalité (le jour J des résultats). Les personnages de ce ballet foireux et fiévreux sont eux aussi à l’image du film, en totale, roue libre, ne sachant plus trop bien ou donner de la tête, engloutis par les passants qui s’agglutinent dans les rues de Paris. Tandis que la foule scande le nom de son favori et s’apprête à fêter une hypothétique victoire, la bataille intime entre les ex Laetitia et Vincent se déploie et fait rage. C’est lors de ce prodigieux essai que l’on découvrait le minois et la voix aigue de Laetitia Dosch, et un Vincent Macaigne maigrelet barbu, qui après s’être cantonné au rôle de rond garçon maladroit, inaugurait le « Macaigne movie border line ».
2) Les Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez
Un plan séquence en noir et blanc, muet, bercé par les sons envoutants et électro de M83. Kate Moran au visage d’ange contre un mur de pierre, et des garçons et des filles passant un à un devant elle pour l’embrasser. D’abord tendrement puis fougueusement. C’est en 2006, que Yann Gonzalez, ancien critique de cinéma, réalise son premier court métrage, le bien nommé By The Kiss. Tourné en pellicule, le film impressionnait par sa minimale simplicité et sa fulgurante cinégénie. Après pléthore de courts métrages hantés par un romantisme noir et morbide, Yann Gonzalez présente enfin en 2013 en séance spéciale de la Semaine de la Critique à Cannes son premier long métrage au titre rohmérien et au script sulfureux : « Au cœur de la nuit, un jeune couple et leur gouvernante travestie préparent une orgie. Sont attendus La Chienne, La Star, L’Etalon et L’Adolescent« . Mais loin de consentir uniquement à une fable sexuelle subversive dont le seul but serait de choquer la bien pensance, Gonzalez désamorce tout soupçon de provoc à trois francs six sous, et délivre un film hanté et poétique. Les Rencontres d’Après minuit apparait comme un film-somme, une synthèse des chères obsessions du cinéaste, faites de fantômes et d’amants légendaires. Gonzalez orchestre ici un sublime ballet de corps déguisés (la chienne et sa coupe blonde platine, Matthias et son oeil masqué comme Albator, et Udo – Nicolas Maury plus libidineux que jamais – en de soubrette) et faussement partouzeurs, obsédés par l’arrivée menaçante de l’aube et la fin d’une nuit d’harmonie.
3) Belle Epine de Rebecca Zlotowski
« Et ta mère?« , « Ma mère elle est morte« . Prudence agirait-elle comme le petit Doinel, déballant cette fausse excuse (« C’est ma mère m’sieur… » « Qu’est-ce qu’elle a ta mère ?! » « Elle est morte!« ) au directeur de l’école, à la mine déconfite, pour se sortir d’un sale pétrin? Pas sûr… Le premier film de Rebecca Zlotowksi se construit autour de cette vérité que l’on croit mensongère. Mais c’est pourtant ce malentendu mortifère qui va offrir à Prudence (Léa Seydoux, probablement l’un de ses plus beaux rôles), 17 ans, totalement délaissée (un père en voyage, une soeur ayant quitté le cocon familial), cet espace de liberté, au sein duquel elle fait la rencontre d’une bande de jeune motards, objets de tous ses désirs. Pour son premier film Zlotowksi filme la naissance de son héroïne et son éveil à la sexualité. Si Belle Epine s’annonce lui aussi comme un récit initiatique, c’est en réalité pour mieux digérer les codes et faire de cette première fois un film sombre et nerveux, sensuel et atmosphérique.
4) Un monde sans femmes de Guillaume Brac (2012)
Quel cinéphile n’a jamais fantasmé la stupéfaction du spectateur de l’époque qui découvrait pour la toute première fois sur grand écran les déambulations amoureuses de Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo dans A Bout de Souffle, celles, solitaires, du désinvolte Hippo dans Un monde sans pitié, la mine concentrée d’Antoine Doinel fumant la pipe comme un grand bonhomme et se délectant de l’oeuvre de Balzac dans Les Quatre Cents Coups ou celle plus sauvage du jeune François dans L’enfance nue…. ? Quand on a découvert Un monde sans femme, moyen métrage et deuxième film de Guillaume Brac (on triche un peu), on aime à croire que c’est un peu ça aussi qui nous a touché, cette impression d’assister à la naissance de quelque chose. Celle d’abord d’un cinéaste, assurément, mais aussi d’un acteur : Vincent Macaigne, qu’on voyait vraiment pour la première fois, en garçon rondouillard et timide, ne sachant quoi faire de son corps pour séduire les deux femmes autour de lui. Ce qui saisissait aussi dans Un monde sans femme, c’est cette impression, propre au grand film, de voir pour la première quelque chose d’extrêmement banal. Ici, la solitude quotidienne et l’apprentissage amoureux d’un garçon, habitant d’une petite station balnéaire de la Côte Picarde.
5) Diamant noir d’Arthur Harari
En novembre 2010, Arthur Harari figurait déjà sur la couverture du numéro des Cahiers du Cinéma intitulé « Demain ils feront le jeune cinéma français? ». Une interrogation qui à la lecture du mensuel apparaissait comme un véritable souhait, celui de trouver dans les jeunes recrues d’aujourd’hui les cinéastes de demain. A l’époque, Harari est peut être l’un des plus vifs espoirs du jeune cinéma français et ses précédents films (La main sur la gueule et Peine perdue) ont déjà suscité un bel élan critique. Mais le passage du court au long sera douloureux. Pendant près de deux ans, le cinéaste, développe l’écriture de son premier long métrage, pour finalement, faute de financement, abandonner le projet. C’est alors qu’on lui propose de réaliser un film de braquage et que naît Diamant Noir. Et c’est justement, peut être parce qu’il est un film de commande, que Diamant noir possède toutes les qualités d’un film d’auteur, lorgnant gracieusement du côté du polar et du film de famille sentimental. Dans un écrin sombre, et une image sublime (par le chef op Tom Harari, frère d’Arthur à qui l’on doit également la très belle lumière mélancolique d’Un monde sans femmes, ou celle très pop de La Bataille de Solférino), Harari orchestre les retrouvailles douloureuses et intéressées entre un fils délaissé, caché, mal aimé, et sa famille. Une tragédie moderne aussi vive et brute que son titre.
6) La fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko
Si on a bien souvent tenté d’établir des lignes de lecture ou du moins des critères pour faire de ce jeune cinéma français naissant, une véritable « école », il faut bien dire que certains traits communs confèrent à l’ensemble une certaine unicité. Moins érudite que celle de Desplechin, écorchée et malade que celle de Beauvois ou mélancolique que celle de Rochant, la jeunesse contemporaine est aussi le sujet de prédilection du jeune cinéma français. Et La fille du 14 juillet sous ses atours de gros délire burlesque gonflé à l’hélium, parle lui aussi de jeunes trentenaires angoissés en fuite et de la France d’aujourd’hui. Celle d’un Paris plus spot de pub que ville musée (les plans dévoilant les immenses affiches de smartphone dernier cri ornant la devanture des monuments), celle d’une province toute aussi sclérosée que la capitale (petite pause au bord d’un lac ou il est interdit de se baigner, de manger et pourquoi pas de respirer) et celle d’une administration bordélique… (on pourrait ajouter à cette longue liste le stagiaire de 30 ans de La loi de la jungle ou encore la jeune fille enchaînant les petits boulots pour espérer trouver un minuscule appart dans Paris Monopole). Mais par delà sa veine satirique, La Fille du 14 juillet reconquière surtout avec tout son irrévérence, un genre qu’on croyait un peu perdu : la comédie.
7) Les beaux gosses de Riad Sattouf (2009, oups…)
https://www.youtube.com/watch?v=adY03AiyQpo
Pourquoi Les Beaux Gosses? Parce que Riad Sattouf, auteur de BD qui réussit avec brio son passage au cinéma, mais surtout parce que Vincent Lacoste. C’est la première fois qu’on le découvre à l’écran. Il a 14 ans et est affublé d’une ravissante moumoute qui lui donne des faux airs de Mireille Mathieu, d’un appareil dentaire, et porte sur son visage boutonneux cette désormais célèbre moue d’enfant, mi rieuse mi dégoutée. Et aussi et surtout parce qu’avec Les Beaux Gosses, Riad Sattouf, pour parler des affres parfois douloureuses et des frustrations de l’adolescence, préfère franchement conserver fièrement toute son ingratitude un peu bétasse, plutôt que de badigeonner le tout d’un vernis plus glamour dans la veine de Lol et autres films d’ados.
8) Mercuriales de Virgil Vernier (2014)
Là aussi on triche un peu puisque Mercuriales n’est pas vraiment le premier long métrage de Virgil Vernier. Avant la sortie du film, cet ancien élève des Beaux Arts aussi (et compagnon de classe de Justine Triet) a déjà réalisé plusieurs courts, moyens et longs métrages, naviguant aisément entre veine expérimentale, documentaire et fiction. Disons que Mercuriales est en tout cas le premier film financé de son auteur et le genre de film dont on ne saurait trop dire ce qu’il raconte précisément, mais dont on parviendrait volontiers à restituer l’atmosphère, comme tout droit sorti d’un rêve tripant et vaporeux. Virgil Vernier y filme les vestiges d’un monde contemporain nimbé de couleur fluorescente, à travers l’itinéraire de deux jeunes filles, employées dans les tours jumelles Mercuriales qui, comme les meurtrières d’un château fort, observent la banlieue parisienne. C’est aussi le désoeuvrement de ces deux héroïnes, que le cinéaste se plait à filmer, comme une odyssée terrestre mystique. Avec Mercuriales, mais depuis ces débuts, Virgil Vernier ne cesse d’inventer une écriture cinématographique singulière, obsédée, dénichant dans le réel le plus trivial, le dédale des villes périphériques, et les tourments d’une époque, les signes d’un royaume d’antan.
9) Fidelio, l’odyssée d’Alice de Lucie Borleteau
Alice, la très gracile Ariane Labed, est une jeune femme et elle est marin. Lorsqu’elle embarque sur le grand chalutier du nom de Fidelio où elle officie comme mécanicienne, elle laisse derrière elle Felix, son amoureux. Mais stupeur à bord du vieux cargo, filmé par Lucie Borleteau comme une souffreteuse baleine des mers, quand elle découvre que le commandant de bord n’est autre que Gael, son premier amour de jeunesse. Et c’est malgré elle que cette jeune trentenaire se retrouve tiraillée entre deux hommes, celui qui lui promet une vie paisible et un avenir balisé, et l’autre, dont la relation passionnelle demeure pourtant beaucoup plus incertaine. Pour son premier long métrage, Lucie Borleteau suit au pas la trajectoire de sa jeune héroïne, libre et tisse le récit sentimental et sensuel d’une âme vagabonde.
10) Les Combattants de Thomas Cailley (2014)
Arnaud (le novice Kevin Azaïs) vient de reprendre l’entreprise de son père, décédé depuis peu. Avec son frère, ils installent chez la mystérieuse et légèrement butée Madeleine, une cabane de jardin. Dès leur première rencontre – un combat sur un bout de plage aménagé en ring de boxe – Arnaud et Madeleine ne se lâcheront plus. Thomas Cailley, fait de cette rencontre des contraires – lui, discret et fin, elle, trapue et bougonne – un joyeux survival amoureux. Là encore, ce premier coup d’essai revigorant, prouve que la comédie française est loin d’être un genre à vite oublier. Le film fait sensation à Cannes et sera l’année d’après consacré aux César où il décroche celui du meilleur premier film, du meilleur espoir masculin et de la meilleure actrice. Rien que ça.
Mais aussi et en bonus…
Grave de Julia Ducournau (2017)
https://www.youtube.com/watch?v=TElJs93LLs8
Mustang de Deniz Gamze Ergüven (2015)
Ni le ciel, ni la terre de Clément Cogitore
L’âge atomique d’Hélèna Klotz (2012)
Memory Lane de Mikhael Hers (2016)
Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador (2015)
Domaine de Patric Chiha (2010)
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