Un documentaire qui capte au plus près la langue magnifique et fulgurante d’un comédien et metteur en scène atteint d’autisme.
Dans Quelle folie, Diego Governatori filme une amitié vieille de quinze ans avec Aurélien, metteur en scène, comédien et atteint d’autisme. La chose importante, c’est que Quelle folie ne tombe pas dans le piège du documentaire à sujet. On fait des films sur des personnes, et il se trouve qu’après, ça parle aussi d’autisme. On va des personnes au sujet (et non l’inverse).
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Parler, c’est attester de l’échec de toute parole
Le geste qui commande Quelle folie est très ténu, mais il suffit pour faire apparaître un personnage et un document : suivre à la trace Aurélien, ne pas le lâcher d’une semelle tandis qu’il erre dans la ville de Pampelune, en Espagne, tandis que les ferias battent leur plein. Governatori s’amuse d’ailleurs à quelques audaces formelles, notamment lorsqu’il tente de figurer l’isolement de son ami en projetant son image au milieu d’une arène pleine à craquer. A ce moment précis, on se dit que le film n’avait pas besoin de ça, qu’il aurait pu être encore plus modeste et s’astreindre à se faire l’écrin d’une parole éclatante obsédée par la rage de l’expression.
Car Aurélien se débat avec lui-même, parlant de la condition autiste comme d’une « déficience, un ratage (…), c’est dysfonctionnel, c’est handicapant, c’est ultra-douloureux et aberrant », dynamitant par là toute trace de pathos ou de commisération polie de notre part.
Aurélien est pourtant l’exemple éblouissant du fait que cette « aberration » laisse passer des tombereaux de lumière et d’intelligence. Sa langue, magnifique, est celle d’un philosophe-écrivain, mais elle semble naître d’un effort surhumain, d’un rapport physique et guerrier aux mots que capte Governatori.
Parler, c’est attester de l’échec de toute parole, mais on retente, on rate mieux. Justement, trop occupé à se pencher sur la langue pour lui faire dégorger un peu de clarté, Aurélien ignore la grâce qu’il laisse passer devant la caméra, ignore notre compréhension, énorme.
Quelle folie de Diego Governatori (Fr., 2018, 1 h 27)
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