Figure de proue du nouveau cinéma new-yorkais indépendant, Alex Ross Perry, et son style saturé et crissant, intéresse et irrite simultanément.
L’œuvre d’Alex Ross Perry (The Color Wheel, Listen up Philip…) suscite encore le même mouvement d’attraction-répulsion, du fait du curieux fil qu’elle emprunte film après film : un pur masochisme, dont on ne sait jamais s’il concerne en premier lieu le spectateur ou les personnages mais qui, lorsqu’il est habilement distillé, rend les films aussi harassants qu’excitants – fournaises de comportements narcissiques, frustratifs, imbus, qui font de Perry le principal continuateur (avec les frères Safdie) d’un cinéma underground new-yorkais rebooté il y a quelques années par le Frownland de Ronald Bronstein.
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Le réalisateur met aujourd’hui le nez dans un sujet taillé pour lui, la dépression nerveuse, avec un mélange indécidable d’inspiration et de balourdise. Soit le marasme de Catherine (Elizabeth Moss), frappée coup sur coup par la mort d’un père-mentor et par une rupture amoureuse, qui se retire quelques jours dans la maison de campagne de son amie Virginia. Leur relation apparaît comme une ancienne amitié que le temps et les jalousies ont transformée en rivalité violente sans que les deux femmes, comme condamnées l’une à l’autre, n’aient pris la mesure de cette détérioration.
Perry retrace en parallèle deux séjours dans la maison : celui-ci, qui voit Virginia prendre le dessus avec autant de prévenance que de férocité, et celui de l’été précédent, où les rôles étaient alors inversés avant que le mauvais sort ne s’abatte sur Catherine. Dans un sens ou dans l’autre, les femmes ne s’accordent de délicatesses qu’à la façon d’un chat jouant avec sa proie : la bienveillance précède la pure prédation.
Un film de fièvre
L’impression d’ensemble est celle d’un tunnel de scènes épousant le point de vue de Catherine au point de frôler la noyade, tant le film s’ajuste à une perception déformée par l’anxiété et la paranoïa, qui confond peu à peu passé et présent. Perry n’est pas en reste pour transformer la maison et ses alentours en un espace mental à la valeur métaphorique un peu lourdingue, et il charge encore un peu plus la mule en parsemant son film d’une inattendue mais assez oppressante musique de thriller (confiée à son très polyvalent collaborateur Keegan DeWitt).
Mais même si tout cela a comme toujours de quoi chatouiller nos seuils de tolérance, cela confirme néanmoins ce qu’il y a de remarquable chez lui : sa faculté à travailler tout près des nerfs. Malgré ses défauts, et même avec eux, indissociablement, Queen of Earth est un authentique film de fièvre.
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