Quasiment dépourvu de dialogues, superbement cadré, un film obscur et bouleversant qui signe le retour de Skolimowski après quinze ans d’absence.
Nous sommes dans un petit village de Pologne, à une époque indéterminée qui semble pourtant contemporaine. Nous nous attachons d’emblée à un homme au regard fuyant. Il s’achète une hache, puis dans le plan suivant jette, d’un air coupable, une main humaine dans un incinérateur. Pourtant, cet homme, qui s’appelle Leon Okrasa, n’est pas tout à fait celui que vous pourriez croire, et les monstres sont ceux qui ne paraissent pas l’être au premier abord. Okrasa est un coupable par essence, depuis sa naissance sans doute. Un jour, il y a quelques années, il a assisté au viol d’une femme. Il a couru téléphoner à la police. Le résultat ? C’est lui qui a été condamné. Les apparences, toujours, sont contre Okrasa, comme elles sont contre nous. Okrasa est en effet tombé amoureux de la femme violée, elle s’appelle Anna, et elle habite en face de chez lui. Alors depuis sa sortie de prison, chaque soir, Okrasa observe Anna à travers un soupirail (à l’aide d’une petite lunette qui le fait ressembler à un cinéaste au travail). Après s’être assuré que la jeune femme ne se réveillerait pas la nuit, Okrasa va pénétrer un soir dans la maison et l’intimité d’Anna, pendant quatre nuits. Mais la vérité est-elle vraiment en adéquation avec ce que nous voyons ? Que signifie exactement le dernier plan du film ? Jerzy Skolimowski, auteur de quelques films étonnants (Deep End, Le Départ ou Travail au noir), fit partie de la nouvelle vague venue des pays de l’Est (Polanski, Forman) dans les années 60. Le voici de retour, plus de quinze ans après une adaptation de Ferdydurke (1991), d’après le célèbre roman de son compatriote polonais Gombrowicz. Depuis, Skolimowski, selon ses dires, peignait des tableaux dans sa maison de Malibu. Quatre nuits avec Anna, qui fit l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs en mai dernier, à Cannes, apparaît au premier abord comme un film très simple. Il n’en est rien. D’une écriture cinématographique pure et resserrée, au montage très travaillé (la façon dont Skolimowski joue des flash-backs est magistrale), ce film quasi muet est composé de rimes intérieures, de multiples cadres superposés, de champs alignés, de lignes de fuite qui construisent un monde inquiétant, à la fois réaliste (la cruauté du milieu du travail) et abstrait, où il est question de regard, d’identification, de ces questions qui travaillent les cinéastes depuis toujours. Skolimowski montre surtout en quoi l’imagination, en s’interposant entre la réalité et notre regard, peut déformer nos sensations, nos pensées, et donc nos vies. D’où un film habité de fausses vérités, où un être humain tente en vain de survivre et d’éprouver des sentiments dans une société où chacun vit dans sa solitude et son égoïsme. Enfin, cet opus à la fois noir et drôle (grâce notamment à la performance de son acteur principal), kafkaïen, profondément désespéré, peut aussi être regardé comme l’autoportrait en idiot d’un cinéaste déçu par l’humanité.
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