La sortie tardive du premier film tourné par Björk et réalisé par Nietzchka Keene. Une adaptation des frères Grimm dans une perspective féministe.
“Quand nous étions sorcières”, le premier long métrage de l’Américaine Nietzchka Keene, a connu un parcours du combattant pour que nous puissions aujourd’hui découvrir la chanteuse Björk à 21 ans dans son premier rôle au cinéma.
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Une reconnaissance posthume
En 1986, la cinéaste part en Islande tourner pendant un été cette adaptation féministe du Conte du genévrier des frères Grimm, mais il faut attendre 1990, faute de moyens, pour que le film soit présenté à Sundance et sélectionné pour le Grand Prix du jury.
Malgré cela, la cinéaste n’arrive pas à monter la plupart de ses projets. Elle se tourne vers l’enseignement à l’université du Wisconsin-Madison, puis meurt d’un cancer en 2004. C’est son université qui fera en sorte que Quand nous étions sorcières soit restauré, afin que ce film et sa réalisatrice sortent de l’oubli.
Alors que le conte des frères Grimm relate comment un enfant devient le souffre-douleur de sa belle-mère qui finit par le tuer et le faire manger à son père, Nietzchka Keene raconte l’histoire de deux sœurs orphelines après le meurtre de leur mère, sorcière.
L’aînée, Katla, accepte d’épouser un homme qui a déjà un fils afin qu’elles puissent échapper à leur tour au sort qu’on réserve aux femmes démontrant trop de puissance.
Paysages insulaires austères et sublimes
Tourné en noir et blanc dans des paysages insulaires austères et sublimes, la cinéaste déplace le conte à la fin du Moyen Age. Cela lui donne une aura mythologique et mystique, renforcée par l’incursion du fantastique. La jeune sœur Margit, incarnée par Björk, au visage expressif de lutin androgyne, est habitée par des visions auxquelles nous avons accès.
Ces plans surréalistes, comme lorsqu’elle voit un trou noir dans la poitrine de sa mère défunte – qui devient un plan sur des mouettes dans le ciel –, nous rappellent la liberté formelle que Maya Deren prenait en nous montrant les songes qui traversaient aussi son héroïne dans Meshes of the Afternoon en 1943.
Nietzchka Keene n’a pas peur de montrer l’aspect terrifiant de la grande sœur, qui, comme dans le conte, cuisine la chair du fils défunt. La cinéaste filme de manière graphique la mort de l’enfant et le rituel de sorcellerie qui s’ensuit.
L’aînée est une sorcière cruelle, préférant mettre sa passion pour un homme et son bien-être avant celui d’un enfant ; la cadette, une sorcière qui tente d’apaiser son entourage, de faire face au deuil, grâce à ses dons.
La toute-puissance de la femme sorcière
Ces deux figures renvoient au mythe de Médée et notamment à l’adaptation qu’en a faite Lars von Trier en 1988, où le cinéaste osait montrer l’infanticide. Medea et Quand nous étions sorcières fonctionnent en images miroir, dans un même climat. Lars von Trier s’est emparé d’un scénario jamais tourné de Carl Theodor Dreyer, et chez Keene l’approche entre le domestique et le divin, la matérialité des paysages, la lumière sur les visages rappellent Ordet (1955), le chef-d’œuvre du Danois.
https://www.youtube.com/watch?v=zFP-FmheJrg
Dans les deux films, la toute-puissance de la femme sorcière fait trembler le patriarcat. Le désir féminin devient monstrueux, mais les cinéastes n’en ont pas peur. Ils le filment en le regardant droit dans les yeux.
Quand nous étions sorcières de Nietzchka Keene, avec Björk, Bryndis Petra Bragadóttir, Valdimar Örn Flygenring (Isl., E.-U., 1990, 1h19)
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