Une actrice d’aujourd’hui dans la peau d’une chanteuse d’hier. Une star du r’n’b en diva Motown. Cotillard en môme Piaf, Beyoncé en para-Diana Ross : deux stratégies opposées – la ressemblance ou la distance –, et pourtant un même trouble dans l’incarnation. Cette semaine, Piaf. Le pari de La Môme consiste à prendre du champ […]
Une actrice d’aujourd’hui dans la peau d’une chanteuse d’hier. Une star du r’n’b en diva Motown. Cotillard en môme Piaf, Beyoncé en para-Diana Ross : deux stratégies opposées – la ressemblance ou la distance –, et pourtant un même trouble dans l’incarnation. Cette semaine, Piaf. Le pari de La Môme consiste à prendre du champ avec l’habituelle structure binaire de ce genre de biopic : de la fange à la gloire, de la gloire à la chute. Certes, les scènes liées à l’enfance sont plutôt concentrées dans la première partie du film, et une séquence intitulée de façon emphatique “La dernière nuit” constitue l’axe majeur du dernier mouvement. Mais Olivier Dahan vaporise toutes les strates de la vie de la chanteuse à chaque endroit de son récit. Le déclin est enlacé à l’apprentissage, l’adolescence meurtrie et la vieillesse précoce se toisent tout au long, le film est un miroir à facettes où la figure de Piaf est sans cesse diffractée. Trois comédiennes (l’enfant, l’adolescente et puis l’adulte) s’échangent leur place. Marion Cotillard, elle même, en jeune adulte ou en junk terminale, ne se ressemble pas. Rien n’est fait pour suturer ces images éclatées. Piaf n’est pas ici un personnage, mais une succession d’états, d’instantanés, une silhouette de flip-book que des pages arrachées empêcheraient de s’animer de façon fluide et continue – et la révélation in extremis d’un drame enfoui (l’enfant mort) comme clé censément explicative est trop abrupte pour faire office d’arête dorsale d’un destin. Car c’est bien de la dimension de destin que le film se déjoue. En abolissant le fléchage du temps, il atténue toute dimension de tragique. Les épisodes d’une vie flottent comme des bulles. Ce léger désancrage
confère au film son étonnante légéreté, alors même qu’il ne recule devant aucune forme d’hyperréalisme dans la figuration de la décrépitude. Une chanson par-ci, un chromo d’enfance par-là, quelques petites-robes-noires et un ballet d’apparitions/disparitions des personnages secondaires, et le film se laisse aller comme une valse. Enfin, le masque de maquillage de Marion Cotillard, ses contorsions pour reproduire une démarche en rajoutent encore dans la prise de distance. En se concentrant sur la perfection mimétique, la conformité aux archives, elle joue non pas l’épaisseur d’une fiction mais la surface d’une
image. Plus elle ressemble et plus elle déréalise. Plus elle évoque et moins elle incarne. Le succès du film doit sûrement beaucoup à cette disposition très nouvelle cuisine, cette déconstruction light. La vie de Piaf ne se déroule pas comme un roman, mais se visite comme une expo, au sens de circulation très libre. Dès lors, la ballade peut être plaisante : toutes les salles sont climatisées, les affects reproduits sous cloche, personne ne souffre ici sinon des poupées de cire.
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