Les critiques étant plus superstitieux encore que les sportifs, il suffit qu’on les loge en face d’un cimetière et que la première chose qu’ils découvrent en sortant de leur chambre, soit une procession funéraire emmenée par un prélat violet, pour qu’ils commencent à voir de la mort partout. Mort joyeuse et sexuelle dans le charmant […]
Les critiques étant plus superstitieux encore que les sportifs, il suffit qu’on les loge en face d’un cimetière et que la première chose qu’ils découvrent en sortant de leur chambre, soit une procession funéraire emmenée par un prélat violet, pour qu’ils commencent à voir de la mort partout. Mort joyeuse et sexuelle dans le charmant court-métrage d’animation réalisé par Spike Jonze, Mourir auprès de toi, avec des personnages tout en feutrine échappés de couvertures de livre.
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Mort naturaliste et fantastique dans Nana, le premier long métrage de Valérie Massadian, ancienne assistante de Nan Goldin, qui part du sang des bêtes pour glisser très (trop ?) plastiquement vers un drame familial. (Quasi) mort clinique et formaliste dans le second opus du cinéaste roumain Adrian Sitaru, Din dragoste cu cele mai bune intenti. Si le film souligne encore combien La Mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu reste l’œuvre majeure et matrice de toute la « Nouvelle Vague » roumaine, il n’en possède pas moins une fantaisie propre et séduisante (ainsi : dans l’hôpital de campagne où le héros vient voir sa mère malade, une patiente à la voix douce dissimule son visage mutilé sous un masque de lapin).
Mort tragique, enfin, et conjugale dans les trois derniers films de Jean-Marie Straub, Un Héritier, L’Inconsolable, et Schakale und Araber. Depuis le décès de sa compagne, Danièle Huillet, en 2006, le cinéma de Straub subit, en effet, toute une série d’opérations discrètes et bouleversantes. Rien de changé en apparence dans le programme politique. Et, pourtant, l’œuvre est comme attaquée de l’intérieur par un principe de décomposition.
Chacun des trois court-métrages, présenté à Locarno est tiré ainsi d’un des auteurs majeurs de la filmographie straubienne (Pavese, Kafka, Barrès), mais repris ici sur le mode mineur du post-scriptum. Le cinéaste s’y met maintenant en scène lui-même, en tant que corps ou que voix, tandis que la figure de la femme morte y transparaît régulièrement, au détour d’un épisode ou plus frontalement (dans une réécriture pavesienne du mythe d’Orphée). Surtout le réalisateur a abandonné la pellicule pour la vidéo. Et l’éclairage numérique qui se projette dorénavant sur les paysages si familiers du cinéaste, y jette un émouvant voile spectral. Comme si l’image elle-même était en deuil inconsolable d’une partie de sa matérialité.
Un Héritier fait partie du Jeonju Digital Project. Initié en 2000 par l’excellent festival coréen de Jeonju, ce projet finance annuellement trois courts, filmés en numérique, par des auteurs majeurs. Présentés chaque année à Locarno, ils incluaient également, en 2011, en plus du film de Straub, une proposition de Claire Denis, Aller au diable. Construit, comme une enquête policière en forêt amazonienne, autour de la rencontre entre un acteur et la personne qu’il doit interpréter à l’écran (un chercheur d’or et d’embrouilles à la Scarface), ce carnet de notes de tournage est entièrement porté par le désir du film à venir. De quoi reprendre un goût satanique à la vie.
Patrice Blouin
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