Entre cinéma commercial et expérimentations plastiques, une riche rétrospective des premières œuvres du maître taïwanais Hou Hsiao-hsien.
Quelques mois après la sortie de son dernier film, l’éblouissant The Assassin, Hou Hsiao-hsien revient dans l’actu avec une rétrospective de ses œuvres de jeunesse, concoctée par le distributeur Carlotta. A la faveur d’un beau travail de restauration, on reverra ainsi ses fictions autobiographiques majeures (Les Garçons de Fengkuei, Un temps pour vivre, un temps pour mourir, Poussières dans le vent), trois chroniques adolescentes qui fixèrent le style du maître taïwanais et l’imposèrent à la pointe de la modernité chinoise ; mais on remontera aussi aux sources plus impures et méconnues de sa filmographie, grâce à la présentation de son premier film, l’inédit Cute Girl.
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Tournée en 1980, alors que Hou Hsiao-hsien venait à peine de sortir de la fac de cinéma, cette comédie romantique contredit le vieil adage critique selon lequel les premiers films d’auteur contiendraient toujours, en germe, les grands motifs de l’œuvre à venir. Ici, pas de choc formel, d’indice de modernité ni d’expérimentation narrative ; juste le charme léger et inconséquent d’un pur produit commercial, “un film de distraction”, disait-on alors, destiné à draguer les kids et remplir les multiplexes de Taïwan.
Avec son casting de starlettes locales (le chanteur de Hong Kong Kenny Bee, la lolita Feng Fei-fei), ses petites intrigues amoureuses, ses vannes gratuites, ses plans courts, heurtés, et son montage dynamique, rythmé par une bande-son hyper cheesy, Cute Girl ressemble à n’importe quel film de marché asiatique des eighties : une bulle pop séduisante mais sans envergure. Il faudra encore attendre deux ans, et la sortie de Green, Green Grass of Home pour que l’œuvre d’Hou Hsiao-hsien entre dans une autre dimension et qu’apparaissent enfin les premiers signes de sa révolution plastique.
Jusqu’ici inédite en France, cette chronique estivale dépeint la vie d’un petit village de montagne bouleversé par l’apparition d’un nouvel instituteur, et nourrit son récit de longues scènes de classes, dîners, fêtes, partie de pêche, bref du plus ordinaire quotidien. En pleine transition dans sa carrière, Hou Hsiao-hsien assure ici la commande (déluge de pop-songs mielleuses chantées par des stars, bouffées de comique absurde, etc.) tout en affûtant peu à peu sa mise en scène. Le montage se fait plus patient, et la caméra se fige soudain, attentive aux paysages, aux chorégraphies sauvages de la nature et aux gestes des acteurs amateurs, dont le cinéaste encapsule les mouvements spontanés à la faveur de sublimes plans-séquences anticipant la grande aventure formelle des Garçons de Fengkuei.
Encore hésitants et inaboutis, ces films témoignent d’une rupture passionnante dans l’œuvre d’un auteur qui cherche, tâtonne, se débarrasse de ses artifices et s’apprête à bouleverser le cinéma contemporain.
Romain Blondeau
Cute Girl (1980) ; Green, Green Grass of Home (1982) ; Les Garçons de Fengkuei (1983) ; Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) ; Poussières dans le vent (1986)
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