Sous des apparences de film fourre-tout et complaisant, une ode au temps qui passe et à l’amour qui reste.
Martha Mödl, une petite dame taquine qui fut une grande interprète de Wagner et qui chante encore divinement à 84 ans, explique dans une scène de Poussières d’amour qu’autrefois, on ne cherchait pas comme aujourd’hui à atteindre la perfection, simplement à exprimer des sentiments. Poussières d’amour est à cette image : imparfait et plein de sentiments.
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Le film obéit à un dispositif simple : Werner Schroeter a invité des amis chanteurs lyriques à venir le retrouver à l’abbaye de Royaumont avec la personne qui leur est la plus proche. Il leur pose des questions sur l’amour et sur la mort. Puis Schroeter (agaçant et touchant à force d’omniprésence) les met en scène dans un air d’opéra chanté en direct. Tout cela enrobé dans une sauce de plans de coupe répétitifs, lourds de sens et complaisants (en vrac : la campagne, Düsseldorf, des vitraux, un crucifix, Le Radeau de la Méduse, des jeunes hommes nus dans des positions inénarrables, etc.). A priori, rien d’affriolant.
Pourtant, ces fioritures et le manque de tenue du tout nous mènent peu à peu à l’essentiel, à ce qui n’est pas dit. Une abbaye est un lieu à la fois de vie éternelle (si l’on y croit) ou de mort (si l’on n’y croit pas) et Schroeter porte un petit noeud rouge à la boutonnière. Ces Poussières d’amour, ces débris de beauté et d’amour que la musique laisse derrière elle, servent à consoler Schroeter d’un deuil. Comme si le but inavoué de son entreprise était de rassembler autour de lui une famille venue apaiser sa douleur par le chant. Et puis vient Anita Cerquetti. Elle ressemble un peu à la Castafiore, un de ses yeux cligne nerveusement. Mais c’est elle la plus belle (bien plus encore, pardon, que Carole Bouquet qui l’interviewe) et c’est elle qui va apporter la vie et le réconfort, enfin, sans grand discours (ce n’est pas une intellectuelle), sans même chanter (elle ne le peut plus), par sa seule présence et sa seule énergie comme une mère.
Anita Cerquetti a été une star de l’opéra italien. Schroeter l’a cherchée pendant trente ans. Quand elle chante son premier rôle titre Aïda, en 1951 , elle n’a pas 20 ans et c’est la première fois qu’elle assiste à un opéra. Pendant dix années, elle ne va vivre que pour le seul plaisir de chanter. Elle abandonne la scène en pleine gloire, à 29 ans (à la mort de son père, mais elle ne le dit pas). Schroeter lui fait écouter l’enregistrement de son « Casta Diva » dans la Norma et lui demande de chanter en play-back. C’est le moment le plus beau du film. Toutes les émotions remontent en elle sous nos yeux. Sans effroi ni nostalgie, elle nous donne du chant sans chanter, et l’émotion nous envahit, comme jamais auparavant. Le chant n’existe pas, il n’y a que celui qui le pousse ; la vie n’existe pas, il n’y a que des êtres de chair et de sang, qui aiment et meurent.
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