Le nouveau film du réalisateur de “Rogue One” sort sans coup férir, malgré une tessiture de grand blockbuster opératique et stylisé à la Villeneuve, auquel manque néanmoins un soupçon de magie et de vertige.
La sortie de The Creator a lieu dans une drôle d’indifférence, essentiellement imputable à la grève des acteurs, qui empêche les stars d’assurer la promotion, mais dont on s’étonne qu’elle n’ait été rattrapée par aucune vague d’excitation de fans en ligne. Une ferveur tenace entoure pourtant toujours Rogue One, précédent film de Gareth Edwards. Elle n’a pas suffi à identifier ce projet pharaonique pour ce qu’il est : un film de science-fiction à la charpente puissante et au stylisme assuré, qui le place assurément dans la cour de Nolan et surtout Villeneuve (entre Blade Runner 2049, Sicario, et Premier contact), même si ses chevilles sont plus fragiles que celles de ces caïds.
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Dans un avenir relativement proche, l’IA s’est développée jusqu’à prendre un contrôle insidieux de nos vies : des robots, certains humanoïdes, d’autres non, ont envahi la société, occupent des postes de médecine ou de police. Le scénario catastrophe est bien sûr arrivé (une bombe nucléaire, armée par une IA, a anéanti Los Angeles), mais Edwards place son film dans un second temps du désastre, avec une certaine subtilité géopolitique : après les avoir bannies de sa société, l’occident est entré en guerre contre des intelligences artificielles, qui font corps à la façon d’une faction militaire protégée dans une Asie du Sud-Est, où elles coexistent pacifiquement avec la population humaine. Un soldat sans attaches va être envoyé derrière les lignes de front et prendre sous son aile une mystérieuse enfant-robot aux pouvoirs uniques.
À la hauteur de ses ambitions
Sous un patronage assez orgueilleux – Edwards cite Apocalypse Now, Akira, Blade Runner, et pourquoi pas la création divine tant qu’on y est ? – et chargé d’un titre lourdement prophétique, The Creator avait sur le papier tout du gros soufflé new age qui s’effondre aussi vite qu’il a gonflé. Il tient pourtant la longueur avec une remarquable profondeur de souffle, fort de la virtuosité d’Edwards en matière de modern warfare futuriste.
Le film se déplace sur un front de guerre totale ancré dans un décor naturel sud-asiatique, fait de jungles, de villages et de littoraux escarpés qui renvoient à la guerre du Vietnam et à la bataille du Pacifique. La direction artistique affûtée, le sens du détail du film donne à ce théâtre grouillant d’hommes et de machines, surplombé d’immenses vaisseaux en lévitation dans les cieux, un caractère très vivant doublé d’une certaine splendeur architecturale.
Mais une étrange retenue
On oscille entre un sentiment d’immersion suspendue dans un monde qu’on rêverait d’explorer dans une adaptation vidéoludique, et une sorte d’impuissance atone en matière d’émotion. Edwards ébauche des idées sur l’âme de la machine ou la résurrection par la technologie (frappantes scènes de “réveil”, où des morts reprennent vie pour quelques secondes dans un état de panique zombie) promises à un vertige kubrickien, mais qui restent entre ses mains à l’état de vague trouble. Peut-être parce qu’il est, tout compte fait, quelque peu timide sur l’IA, anthropomorphisée par un film qui s’attache à lui inventer une âme, une sorte d’ethnicité, des caractères culturels, mais n’ose pas en faire l’antagoniste omniscient et donc divin qu’elle était par exemple dans le dernier Mission impossible.
Reste un film qui plane très au-dessus du tout-venant hollywoodien, et pourrait confirmer son auteur quelque peu oublié en maître d’œuvre de grandes fresques d’anticipation, moyennant un succès suffisant. Mais pour ça, il faudrait en parler un peu plus…
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