Roland Emmerich, vieux taulier du film catastrophe, s’emberlificote dans un blockbuster anachronique. Ça passe par un œil et ça ressort par l’autre : on a déjà oublié « Midway ».
Venger Pearl Harbor : ce n’était certes pas le motif réel, mais à tout le moins le principal levier de motivation des troupes américaines engagées en juin 1942 dans la bataille de Midway, point de bascule de la WWII certes un peu moins connu que l’attaque japonaise survenue six mois plus tôt, mais à l’issue tout aussi décisive puisqu’il vit l’aéronavale américaine reprendre le dessus de la guerre du Pacifique.
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Un grand barnum de cuirassés, de porte-avions, de sous-marins et de B-17 voltigeurs dont on comprend facilement pourquoi il a pu attirer les regards de Roland Emmerich (Independence Day, 2012, Godzilla…), grand amoureux devant l’éternel du destruction porn, des engins volants et des gros morceaux de bravoure militaire. Avec sans doute, quelque part dans un coin de sa tête, une envie de faire mieux et même bien mieux que l’échec notoire du Pearl Harbor de Michael Bay, son homologue au rayon blockbuster pyrotechnique over-the-top. Venger Pearl Harbor, donc ?
Tournis indigeste
Sauf qu’aussi généreusement pourvue qu’elle puisse l’être en matière de joaillerie militaire, de citations à l’ordre du mérite et de faits de gloire d’hommes illustres propices au storytelling cinématographique, la bataille de Midway n’en est pas moins un calvaire à filmer et à monter dans lequel Emmerich – qui n’a jamais brillé par la sophistication de ses architectures narratives – s’emmêle un peu les bazookas.
Contraint de fait à un récit choral, qui se partage entre la partie de touché coulé du général Nimitz (Woody Harrelson), le tournis un peu indigeste des pilotes à grande gueule amateurs de cascades, les piratages artisanaux des crackers de code (sans lesquels la bataille aurait probablement été perdue), Midway ressemble vite à un gigantesque sac de nœuds, trajectoires entremêlées de missiles et de destins. Un feu d’artifice difficilement maîtrisable dans lequel Emmerich peine à s’octroyer d’authentiques coups d’éclat (l’action militaire est confuse et déceptive : on passe notre temps à voir des torpilles louper des bateaux).
C’est que les meilleurs films de guerre de Pacifique (comme Les Nus et les Morts de Raoul Walsh ou Les Sacrifiés de John Ford – qu’un clin d’œil montre ici brièvement en plein tournage de son documentaire de propagande La Bataille de Midway) se sont souvent plutôt joués dans l’intimité des soldats que dans le ballet des opérations militaires. Or Midway échoue précisément ici, en n’arrivant pas à nous rendre attachants ces hommes qui auraient dû lui insuffler son émotion : défilé de top models peu sympathiques, à grosse mâchoire et regard trop déterminé, sapant au film toute l’humanité qui aurait pu l’étreindre, et probablement le rendre moins ennuyeux.
Anachronique ?
C’est qu’on se demande surtout quoi faire aujourd’hui de ce genre de pornos historico-militaires à violons, drapeaux, discours burnés et grossièretés racistes (“hey, on est payés à buter du Jap, non ?”), vieux folklore de l’entertainment reaganien qu’évidemment plus personne ne regarde au premier degré et de longue date, mais qui pouvait encore conserver une sorte de charme ironique et bis, par goût vintage pour les méchants russes à accent et les caricatures patriotiques – rigolo, parfois même génial à condition d’une bonne dose de talent, mais seulement jusqu’à un certain point.
La recette de film de propagande post-ironique a aujourd’hui perdu tout son goût, et ringardise douloureusement Emmerich au moment où des auteurs de blockbusters haute couture s’emparent justement de la Seconde Guerre mondiale avec des soins d’orfèvre (Dunkirk de Christopher Nolan ou le très attendu 1917 de Sam Mendes). Midway ne rate certes pas tout (sa séquence Pearl Harbor est même une vraie réussite qui mouche à elle seule le navet de Bay) mais son problème est surtout qu’on se demande à quel point quiconque a encore vraiment besoin, ou ne serait-ce qu’envie, de voir ça.
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