Lors de sa sortie, nous avions publié une critique défavorable sur le dernier film de la trilogie Wolverine. Et puis d’autres membres de la rédaction ont vu le film et l’ont adoré. Retour donc en six points sur les soubassements imaginaires, fantastiques, politiques et religieux du meilleur film de super-héros de ces dernières années. Attention spoiler!
Logan prend ses racines dans le conte
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Si Logan est sans doute l’un des films de super-héros les plus visuellement violents qui soit avec ces griffes qui débitent bustes, crânes, bras et jambes comme autant de mottes de beurre, il est paradoxalement aussi celui qui lorgne le plus du côté du récit pour enfants. Les références plus ou moins évidentes avec des classiques à destination de la jeunesse constellent le film avec une intelligence et une subtilité assez remarquables.
A commencer par la plus évidente : Le Petit Chaperon Rouge des frères Grimm. La première fois qu’on aperçoit véritablement Laura, elle semble livrée à elle même en train de jouer sur un parking. Elle porte alors une longue veste à capuche rouge et se retrouve bientôt face au grand (pas si) méchant loup, Wolverine. Même le troisième personnage du conte trouve une correspondance parfaite dans le personnage du Professeur Xavier, mère-grand avec qui Laura se découvre une affinité toute particulière.
Une autre référence moins indiscutable et sans doute non consciente de la part de James Mangold est mise en évidence par un court passage dans le film. Lorsque le Professeur Xavier, Logan et Laura filent sur une autoroute peuplée de camions sans tête, cette dernière aperçoit une remorque où plusieurs chevaux sont enfermés. La longueur du plan particulèrement étendue insiste sur l’empathie et la terreur que ressent Laura en voyant ces animaux en cage. Dans la perspective de raccrocher Logan à l’imaginaire infantile, ce plan nous a rappelé cette séquence particulièrement terrifiante du Pinocchio de Disney (1940), qui n’est autre que, comme Logan, l’histoire d’un enfant fabriqué de toute pièce par des adultes. On y voit un groupe d’enfants transformés en âne pour être revendus comme esclaves ou attractions de foire. Après avoir été triés, ils sont enfermés dans des cages et transportés sur un bateau. Un traitement qui rappelle également la vidéo que Logan trouve sur le téléphone portable de l’infirmière qui a sauvé Laura.
A titre beaucoup plus anecdotique, le visage du personnage de Caliban nous fait beaucoup penser à celui du robot du Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939). Les deux personnages partagent de plus un handicap qui en fait des êtres par essence dysfonctionnels ; l’un ne peut s’exposer au soleil et l’autre doit être remonté par un tiers s’il veut continuer à opérer.
Le passage dans la famille de fermiers représente la parenthèse enchantée d’un film par ailleurs d’une noirceur infinie. Cette intrusion de Laura et sa bande dans ce paisible foyer renvoie cette fois-ci à un autre conte populaire : Boucle d’or et les trois oursons. Dans cette histoire, la petite Boucle d’or s’introduit dans la maison d’une maman ours, d’un papa ours et de leur ourson. En leur absence, elle goute à leur repas avant de s’endormir dans le lit de l’ourson puis d’être chassée par la famille. Ce conte porte en lui l’un des thèmes au coeur de Logan, à savoir la recherche d’identité à travers la stabilité familiale, car Boucle d’or n’est rien d’autre qu’un être solitaire et sans attache qui, le temps d’un repas et d’une sieste, aura violé l’intimité d’une famille avant de s’en aller, à nouveau seule. Logan renverse toutefois le conte en lui donnant une fin tragique. Ici, Boucle d’or ne laisse pas le foyer familial intact mais le réduit à néant.
La partie du film qui se déroule dans la cabane où les enfants mutants ont trouvé refuge renvoie à deux derniers récits qu’on nous a tous conté enfant. A bout de force, Logan est hissé en haut de la falaise à l’aide d’un brancard sur lequel il est ligoté, comme si les enfants avaient peur de lui. Ce motif du géant au milieu d’enfants apeurés renvoie aux Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. Cette sensation est renforcée par la scène où les enfants s’amusent à tailler la barbe du géant endormi. Enfin, cette société d’enfants dont l’utopie réside dans une vie en autarcie loin du monde des adultes fait forcément penser à Peter Pan, récit symbolisant la peur de vieillir, de décatir doucement vers la mort, axiome de tout Logan.
Mad Max comme prolongement futuriste de Logan ?
Logan est non-seulement le meilleur blockbuster depuis Mad Max : Fury Road mais il partage avec cette franchise un certain nombre de caractéristiques. Tout d’abord, une plongée dans un monde d’ultra violence, presque gore, fait de chairs déchiquetées. Si le futur de Mad Max est beaucoup plus lointain que celui de Logan qui semble extrêmement proche, il partage à des niveaux différents le même sentiment d’insécurité permanente. Il y flotte une odeur d’apocalypse où les pires instincts humains règnent. Tous deux donnent à voir un monde sans loi ni règle si ce n’est celle du plus fort et suivent la trajectoire d’un road movie sanglant et sombre.
L’identité visuelle de Logan, surtout dans sa première partie, renvoie énormément à Mad Max. La propriété dans laquelle se sont reclus Wolverine, le Professeur Xavier et Caliban pourrait sains peine être transposée dans l’univers de la saga de George Miller avec ses installations vétustes dévorées par la rouille et son environnement désertique. Et que dire du moment où Donald Pierce, le méchant du film (en photo ci-dessous), arrive chez Logan suivi d’un convoi motorisé digne de l’armada d’Immortan Joe.
Enfin, la séquence où Logan se réveille au milieu des enfants rappelle ce moment de Mad Max et le dôme de tonnerre (1985), quand le héros, qui était à l’époque encore incarné par Mel Gibson, se réveille au milieu d’une société d’enfants qui sont eux aussi en quête d’une terre promise.
Logan est hanté par le western
Soit Copland, le deuxieme film de James Mangold, sorti en 1997. Sylvester Stallone, engraissé, y incarnait un flic vieillissant, réduit aux basses oeuvres (circulation…) après qu’un accident l’ait rendu sourd d’une oreille. Dans une cité dortoir peuplée presque uniquement de flics new-yorkais, la vieille épave reprenait du poil de la bête et décidait de rejouer au sherif dans une ville entièrement gangrénée. Vingt ans avant le Professeur Xavier affecté d’Alzheimer léger et le Wolverine rendu à la mortalité de Logan, Mangold y révélait son goût pour l’héroisme déchu, les justiciers infirmes, les corps en souffrance qui résistent.
Il y révélait aussi une très grande habileté à transférer dans un cadre urbain les grands mythologies du western : affrontements pour un territoire, passages de frontieres, bagarres de saloon… Même la skyline de Manhattan, devant laquelle ne cessait de marcher Stallone prenait des airs de Monument Valley. Le western, c’est la scène primitive du cinéma de Mangold. Il hante le biopic country Walk the line (ne serait-ce que par les chapeaux de cow-boy noirs de Johnny Cash). Mangold réalise même en 2007 un remake avec Christian Bale et Russell Crowe de 3 heures 10 pour Yuma, western de Delmer Daves de 1957.
Logan est à nouveau largement empreint des figures du genre : traversée de déserts, enfants mutants vivant à l’état sauvage comme une tribu d’indiens résistant à la décimation, fuites et poursuites jusqu’à la frontière… Mais surtout, après le remake de 3 heures 10 pour Yuma, c’est à un autre classique du western des années 50 que se réfère Logan, cette fois par l’entremise d’une citation : L’homme des vallées perdues de Georges Stevens (1953). Lors d’une halte dans leur fuite, dans une anonyme chambre d’hotel, le Professeur Xavier montre à la petite Laura un film qui a illuminé son enfance : L’homme des vallées perdues – « Tu te rends compte, Laura? Ce film a presque cent ans » dit-il, la voix tressaillante.
Dans L’homme des vallées perdues, Alan Ladd interprète Shane, l’archétype du lonesome cow-boy venu d’on ne sait où et qui ne reste nulle part. Le temps du récit, il s’installe dans une famille de fermiers, qu’il va débarrasser d’affreux malfaiteurs qui les rackettent. Cette famille se réduit à un père, une mère, un enfant. Pour chacun d’eux Shane va constituer un objet de tourment et de fascination. Le père sera mi-admiratif, mi-jaloux, la mère vaguement troublée sexuellement. Mais c’est pour l’enfant, un garçon d’une douzaine d’année, que la déflagration d’affects va être la plus violente. Shane va constituer pour lui un objet d’adoration absolue, et bien sûr une image idéalisée, fantasmée, héroïsée du père. Face à cet investissement excessif, Shane se défausse. Il n’est le père, même symbolique, de personne.
On trouve l’écho de cette intrigue de refiliation dans Logan. Laura est dans la même demande que le petit garçon du western de Georges Stevens. Elle aspire Logan dans son roman des origines, voudrait être adoptée, lui prend la main pour se conformer à cette famille idéale de mannequins en plastique aperçue dans une vitrine de galerie marchande. La réponse de Logan est différente de celle de Shane. Il ne parvient pas à être un père car il est encore trop occupée à être un fils. Jusqu’assez tard dans le film, il est assez indifférent au sort de ce mini-Wolverine au féminin. Son unique préoccupation est de protéger le Professeur Xavier, ce vieillard impotent qui ne maîtrise plus ses pouvoirs. Finalement aucun personnage ne parvient à sauver le parent qu’il s’est choisi. Même le clone flambant neuf de Wolverine, qui surgit au milieu du récit pour exécuter son modèle, va assister impuissant à la mort de son créateur. Le film est un cimetière. Beaucoup de cadavres, beaucoup de familles, biologiques (les parents afro-américains et leur enfant) ou inventées, gisent dans les vallées perdus et laissent derrière eux, dans le dernier plan, la petite troupe d’orphelins éternels.
Le premier blockbuster sur l’Amérique de Trump
Même les super-héros cèdent à la galopante ubérisation du monde. Voilà où en est Logan dans un futur proche qui ressemble furieusement à notre présent. Déparé de son prestige de justicier griffu en marcel, il porte l’anonyme costume noir des chauffeurs privés et dans longue limo noire, un peu cabossée, il glisse sur toutes les couches de la société, dont quelques échantillons viennent asseoir sur sa banquette arrière le temps d’une jolie saynète clippée, ses pics dépressifs ou son euphorie bruyante. Aux humeurs de ses passagers, Logan est de toute façon indifférent. Plus seul que tous, dans un monde où pourtant tous seront bientôt seuls. Précarisés. Abandonnées. Ubérisés. Comme des X-men après que l’école du Professeur Xavier ait été démantelée. Comme des travailleurs après que la vieille base du salariat classique ait été défaite par un libéralisme sans frein et que chacun erre dans une société de services où les liens minimums de solidarité ont été coupés.
Pourquoi l’Amérique dystopique de Logan nous parait si familière. Le film de James Mangold, bien que tourné avant la grande catapulte électorale de novembre dernier, est peut-être le premier film à enregistrer aussi puissamment l’Amérique de Donald Trump. Il n’y est question que de migrations, de frontières, d’envie de prendre la fuite, de clandestins persécutés. Dans cette nation malade, un seul objectif pour les orphelins malades de leur mutation : cap au Canada !
Johnny Cash et Logan, même combat
Les enfants migrants à l’assaut d’un monde meilleur laisse derrière eux la sépulture de Logan. Une croix de bois est plantée sur le lopin de terre qui l’ensevelit. D’un geste abrupt et décidé, la petite Laura renverse la croix et plante dans le sol une seconde branche. Le signe chrétien mute alors en X. Et la voix caverneuse de l’homme en noir du rock américain s’élève, comme une âme qui se détacherait de la dépouille de Logan, c’est Johnny Cash (auquel le réalisateur de Logan, James Mangold, avait justement consacré un biopic en 2005, Walk the line). Il interprète The man comes around, une des dernières chansons qu’il ait écrite et qui a donné le titre de son ultime album en 2002. Le morceau décrit le retour sur terre d’un Christ vengeur dans un contexte d’apocalypse. Les petits mutants qui s’enfuient vers un Eden promis derrière la frontière laissent donc derrière eux le déferlement du Jugement Dernier. Cet « homme qui s’approche » est un Dieu vengeur, « injuste avec les injustes ». « And his name, that sat on him was Death. And Hell followed with him / Et son nom, qui était marqué sur lui, était Mort. Et l’enfer arrivait avec lui« . Ce Christ vengeur pourrait porter un X en lieu et place d’une croix. En tout cas, ça va barder.
Les adieux d’un acteur au rôle de sa vie et du super-héros à la vie
Hugh Jackman aura fait 8 films en 17 ans dans la peau de Wolverine. Mais, malgré ce rythme effréné, c’est avec regret qu’il va rendre ses griffes : « C’était difficile de savoir que c’était la dernière fois, alors que j’avais tellement de choses à dire sur le personnage à l’intérieur de moi. J’avais le sentiment d’avoir mûri et de mieux le comprendre. Le studio nous a laissé faire le film que nous voulions, ils ont été très ouverts » a-t-il déclaré. Rarement un acteur ne se sera autant impliqué dans un rôle de super-héros. Logan représente l’émouvant adieu d’un acteur au rôle de sa vie. Mais pour cette dernière danse, Mangold et Jackman se sont entendus pour donner à Wolverine une fin toute particulière.
Logan est un film d’anti-super héros. Il met en scène un super-héros précarisé, alcoolique, sale, vulnérable, limite dépressif, déjà très abimé et qui va petit-à-petit se laisser mourrir. Le film n’épargne aucune étape de ce chemin de croix, il représente une démystification totale de la figure super-héroïque. Si Hancock (2008) ou The Watchmen (2009) le faisaient déjà, Logan va beaucoup plus loin en balayant du revers de la main la fonction même des super-héros. A un moment du film, Wolverine s’adresse à Laura et lui annonce coup sur coup qu’il compte se suicider et, que ce soit pour servir le bien ou le mal, ses pouvoirs ont pour visée le meurtre et qu’il sera dur pour elle de vivre avec tant de morts sur la conscience. La vision du monde binaire sur laquelle repose le genre qui consiste à légitimer les capacités destructrices des super-héros parce qu’elles servent le bien est ainsi révoquée. Enfin, alors que le super-héros s’envisageait jusque-là en tant que figure particulièrement individualisée du fait de son pouvoir et sa personnalité, les enfants mutants survivants ne sont à aucun moment présentés de cette manière. Au contraire, outre Laura, aucun d’entre eux n’est vraiment individualisé, leur force est celle d’un pur groupe alors que celle des X-Men était une addition d’individualités en puissance. Logan emmène la figure du super-héros avec lui dans sa tombe. Qu’il soit à marquer d’une pierre blanche ou d’un X de bois, Logan est un grand film de (post)super-héros.
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