À l’occasion de la sortie de “Jurassic World : Le Monde d’après”, quelques pistes pour comprendre le génie de Laura Dern.
Une tête blonde balancée en avant est secouée par les spasmes de ses pleurs. Elle se redresse. Le visage agité et crispé de Laura Dern nous regarde, rimel noir qui barbouille le tour de ses yeux bleus perçants. C’est dans les toilettes de sa boîte qu’Amy, cadre en pétage de câble, est venue trouver refuge. En quelques secondes, l’ouverture de la série que Laura Dern a co-écrite avec Mike White, Enlightened (2011), et dans laquelle elle campe une quadra pas si illuminée tentant de retrouver le chemin de sa vie, saisit très justement quelque chose d’elle, de l’actrice.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quelque chose d’inconfortable dans le visage qui se joue, un phénomène physique, musculaire ; tout à coup le sourire forcé cède sous la pression, la bouche se tord dans une grimace désespérée. C’est sensiblement la même moue plus apeurée que colérique que l’actrice offre dans Inland Empire (2006). Dans cette bizarrerie lynchienne la Dern, ici comédienne engagée dans un film “à fabriquer des stars” et un peu de schizophrénie, fait de son visage l’objet même de notre terreur. Sans doute parce qu’il peine à dissimuler son inquiétude, le visage de Laura Dern n’est pas un visage comme les autres. Disons qu’il y a (suffisamment souvent pour le remarquer) quelque chose de la pantomime chez elle, aussi à l’aise dans l’indé que dans le blockbuster.
Évoquer Sailor et Lula (1990) par exemple, son deuxième film avec Lynch, c’est être frappé par le souvenir de son corps longiligne et élastique, séquestré dans de tout petits vêtements sombres et brillants et couronné d’une épaisse crinière couleur de feu. Quelques années auparavant, c’est dans Blue Velvet, et par le négatif de cette image de bombe sexuelle, que la fille des comédien·nes Bruce Dern et Diane Ladd (mère adorée avec qui elle tourne enfant), fait sa confirmation au cinéma et naît dans une image subliminale, allant du flou au net, passant de l’obscurité d’un chemin pavillonnaire à l’éclat de sa peau diaphane et de sa robe rose de gentille (et maline) fille.
Blonde
Autre caractéristique de Dern : sa blondeur qui lui aura valu quelques présupposés avec lesquels elle s’est toujours bien amusée. Dans Un Monde parfait (1993), Clint Eastwood joue lui aussi de cette intuition sexiste en se fondant dans la peau d’un flic macho. Quand il voit débouler pour la première fois cette “barbie” dans son bureau, blonde au tailleur rose (toujours), il la prend pour la nouvelle secrétaire alors qu’elle est la criminologue engagée pour traquer un Kevin Costner en cavale. Criminologue chez Eastwood, archéologue chez Spielberg (Jurassic Park), les métiers qu’elle exerce au cinéma ne sont jamais anecdotiques, ils forgent quelque chose de sa personne, de son indépendance.
Dans ce domaine, la justice est son endroit puisque ces dernières années, après sa résurrection télévisuelle et quasi-prophétique d’Enlightened qui gonfla d’un souffle nouveau sa carrière et raconte en sous-texte aussi et surtout le dur chemin de croix des actrices, comme elle, qui s’engagent à vieillir au cinéma, Dern incarnera à deux reprises une avocate. D’abord chez Kelly Reichardt dans l’un des plus beaux films de ces dernières années (Certaines femmes) dans lequel la cinéaste l’allège de tout ce qu’elle a été avant pour nous la faire voir et regarder comme pour la première fois, attentive et pugnace, effacée et présente.
Hyper-expressivité
La deuxième fois, c’est chez Noah Baumbach dans Marriage Story, rôle dans lequel elle se glisse avec une habileté de chat et pour lequel elle recevra son premier Oscar. On la retrouve ici perchée sur de hauts talons, avec cette hyper-expressivité typiquement américaine, typiquement Laura Dern, décomplexée, proche de la caricature et donc du comique. C’est d’ailleurs en parfaite working girl génialement insupportable et autoritaire, que Laura Dern se réinvente une nouvelle fois à la télévision dans Big Little Lies (2017), et c’est la même année qu’elle est nommée Vice-Admiral Holdo par Rian Johnson dans Les Derniers Jedi avant de se la jouer femme fatale au carré plongeant chez son copain Lynch, pour une ultime visite de son Twin Peaks où elle prêtait son visage iconique et cette fois-ci impassible à Diane Evans. “Les stars font les rêves et les rêves font les stars” entend-on dans Inland Empire.
Jurassic World : Le Monde d’Après de Colin Trevorrow – en salle
{"type":"Banniere-Basse"}