L’animal s’est invité dans pas moins de trois films cette année, sous des formes très différentes.
D’“Au hasard Balthazar“ à “Shrek”, de “Winnie l’Ourson” à “Antoinette dans les Cévennes”, de “Peau d’âne” à “L’homme qui tua Don Quichotte”, l’âne est régulièrement convoqué au cinéma (on pourrait en dire autant de la littérature). Pas autant que le chien, le chat ou le cheval, certes, mais plus que la vache, le cochon ou la chèvre. L’âne est à mi-chemin entre l’animal de compagnie et l’animal de ferme, tout juste bon à servir ses maîtres avant de finir à l’abattoir. Un bon ami mal luné, aussi utile qu’ingrat. Un parfait personnage, en somme.
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Sans doute par coïncidence, de celles dont on aime toutefois tirer des conclusions, l’âne est apparu dans trois films cette année. Trois films “arty”, remarqués en festivals et nommés aux Oscars, où les équidés se sont vus martyriser et n’ont cesser de mettre en crise l’idée même d’humanité. Qu’est-ce que cette triple présence peut bien raconter ? Qu’est-ce qui se joue dans ce regard mystérieux qu’il est impossible de ne pas anthropomorphiser ?
Trois films, trois ânes
Commençons par l’apparition la plus anecdotique – et la plus détestable – des trois : Sans filtre. Dans son film hélas palmé, Ruben Östlund convoque un pauvre bourriquet pour le tuer aussitôt, victime d’une poignée de naufragés échoués sur une île qu’ils croient déserte, et bientôt hantée. La bête hurlante se révélera n’être qu’un âne qui braie de douleur, avant de finir en steak sans avoir eu l’occasion d’exister en tant que personnage. Ce qui ne le différencie pas foncièrement de ses bourreaux, cela dit. Pas plus d’humanité ici chez les hommes que chez les animaux – sous vos rires et vos applaudissements, mesdames et messieurs.
Martin McDonagh fait preuve d’un peu plus de subtilité et de tendresse avec son ânesse dans Les Banshees d’Inisherin (sorti ce 28 décembre en salle). La brave Jenny devient en effet la meilleure amie par substitution de Padraic (Colin Farrell) dès lors que son vieux camarade Colm (Brendan Gleeson) le congédie brutalement. On est là dans la vision sentimentale de la bête, dont la fidélité et l’innocence compensent la méchanceté des hommes. Mais de ce fait, la suite n’en est que plus inacceptable, la cruauté scénaristique que plus arbitraire. Comme dans les mauvaises tragédies, on aimerait pleurer, on est surtout agacé.
Le dernier membre de la promo donkey 2022 est sans aucun doute le plus habité, le plus touchant, le plus troublant. Dans Eo de Jerzy Skolimowski, l’âne éponyme n’est pas un compagnon mais le personnage principal, par les yeux et les oreilles duquel nous allons expérimenter l’absurdité d’une condition. Ce qui en fait, à l’évidence, un cousin du Balthazar bressonien. On s’identifie, on se réjouit, on frémit pour lui. Mais contrairement aux chevaux auquel il se frotte dans une scène marquante – une parmi tant d’autres –, Eo est un roturier. Un outsider vu comme inférieur, au mieux gentil, au pire abruti. Un damné de la terre, dont l’Internationale peine toutefois à venir.
L’âne, ou l’éternel miroir de l’âme.
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