La une très commentée du “Film français” ne porte pas seulement une idée de société française très peu inclusive, mais aussi un point de vue politique sur le cinéma français.
Un patriarche puissant entouré de sa garde rapprochée exclusivement masculine : c’est l’imaginaire viril que convoque l’image de une, un peu glaçante du “Film français” de cette semaine. Au centre de l’image, le patriarche, c’est bien sûr Jérôme Seydoux, président de Pathé depuis plus de vingt ans, vêtu d’un gilet sans manche entre le vêtement de chasse et celui d’alpinisme. Autour de lui, se déploient les artistes qui portent quatre des productions les plus onéreuses du cinéma français de ces prochains mois : Guillaume Canet et Vincent Cassel pour Astérix et Obélix : l’empire du milieu, Pio Marmaï, François Civil et encore Vincent Cassel (décidément dans tous les bons coups) pour Les Trois mousquetaires, Pierre Niney pour Mascarade et Danny Boon pour sa prochaine comédie au titre prometteur, La Vie pour de vrai.
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Le casting est si homogène, si emblématique de plein de choses (une communauté de cinéma, une idée de la masculinité), qu’on s’étonne de l’absence de Gilles Lellouche et Nicolas Bedos. Ils devaient être pris ailleurs puisqu’en tant qu’acteur dans Astérix et Obélix (pour le premier) et que réalisateur de Mascarade (pour le second), ils avaient tous deux pleinement le droit à peupler cette image d’ores et déjà un peu culte. Au-dessus de ces hommes, un slogan impérieux, l’accroche de une du Film français : Objectif reconquête !
“Un choix regrettable”
Sur les réseaux sociaux, les réactions ne se sont pas fait attendre. “Si on vous gêne, n’hésitez pas à le dire”, écrit sur Twitter la réalisatrice Audrey Diwan (L’Événement). “Femmes je vous aime !”, ironise en légende de l’image la productrice Marie-Ange Luciani (120 bpm). “Pas de femme, pas de diversité. La grande classe”, ajoute l’actrice Alexandra Lamy. On peut se demander en effet pourquoi aucune des nombreuses stars féminines associées à ces projets (Marion Cotillard, Eva Green, Isabelle Adjani, Marine Vacth…) n’a été invitée à figurer sur l’image. Et comment personne n’a envisagé à quel point cette non-représentativité posait problème.
Dans la matinée, face à l’ampleur des sarcasmes et des indignations, la rédaction du Film français a publié un message d’excuse et d’explication sur son site : “La couverture parue ce jour a suscité de nombreuses réactions que nous comprenons. Le choix de publier cette photo en couverture, et le choix des termes s’est avéré malheureux et regrettable”. À cette rétractation s’ajoute : “Il est le fait de la rédaction et non des personnes présentes sur cette image” qui laisse imaginer que certains des garçons présents à l’image ont fait savoir au média qu’ils ne sentaient pas totalement confortables avec l’idée d’être épinglés ainsi comme mâles blancs dominants.
Blockbusters tricolores
L’image était, au départ, censée illustrer la tenue, la semaine dernière, du 77ème congrès de la FNCF (Fédération nationale des cinémas français). Laquelle FNCF n’a pas vraiment vu venir le souci, puisqu’elle a posté l’image sur son compte Twitter assortie de la légende : “Une très belle couverture et un très beau numéro”. Associée à la façon dont a été lue l’image, l’accroche de une, Objectif reconquête ! donc, prête vraiment à rire. La communauté des hommes blancs puissants (dont les personnalités à l’image sont devenues involontairement les symboles) doit-elle vraiment reconquérir quoi que ce soit puisqu’elle n’a que très peu partagé le pouvoir ? Ce n’est pourtant pas seulement d’une idée de la société (pour le moins non-paritaire et peu inclusive) dont cette image est le vecteur.
Elle porte aussi une idée très articulée du cinéma. La “reconquête” que vise le titre est bien sûr celle de la fréquentation des salles de cinéma, voire des parts de marché du cinéma français. Ce n’est pas neutre politiquement que de penser que le fer de lance exclusif de cette reconquête sera la mise en chantier de présumés blockbusters tricolores hors de prix (60 millions pour Les Trois mousquetaires, 65 millions pour Asterix et Obelix… ; avec ses 15 millions de budget, le pourtant très bien pourvu, Mascarade paraît presque démuni). Le rayonnement du cinéma français, son horizon d’exploitation et de développement ne passe-t-il pas aussi par les victoires dans les palmarès des festivals internationaux, les palmes ou grand prix obtenus par Julia Ducournau, Audrey Diwan, Claire Denis, Alice Diop… ?
Domination masculine et économique
Toutes les stratégies de reconquête doivent-elles se concentrer que sur les films les plus ouvertement commerciaux et non pas rayonner sur toute la pyramide, sa base et non pas seulement son sommet ? Enfin, les deux pistes interprétatives de l’image ne sont-elles pas liées ? La domination masculine et la domination économique n’entretiennent-elles pas une relation, au fond, très étroite ?
Même si les personnalités qui y figurent ne sont pas responsables de ses effets de sens, et même si le média qui l’a publié a diagnostiqué ce choix comme une erreur, cette image véhicule par quelque bout qu’on la prenne quelque chose d’agressif et hostile.
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