Après L’Effrontée, Claude Miller offrait une nouvelle incarnation à Charlotte Gainsbourg encore adolescente, dans un film qui capte avec acuité l’émancipation de son héroïne vulnérable et opiniâtre.
Il y a dans le trajet qu’a dessiné Charlotte Gainsbourg en deux films dans le cinéma de Claude Miller quelque chose qui se rapproche discrètement de celui que Jean-Pierre Léaud a tracé dans celui de Truffaut. Peut-être parce que l’on trouve, chez Miller comme chez Truffaut, cette façon de regarder l’enfance, ou plutôt sa fin, d’en capturer, sans idéalisme aucun, ses soubresauts, ses désirs grandissants, d’en incarner ses variations dans un mélange d’exaltation et d’effronterie, avec au fond toujours quelque chose de trouble et rugueux.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour La Petite Voleuse, sixième long métrage de Claude Miller, la connexion est d’autant plus évidente que le personnage principal, Janine Castang, devait apparaître dans Les Quatre Cents Coups avant que François Truffaut ne se ravise pour lui écrire un film qu’il n’aura jamais eu le temps de tourner. Chez Claude Miller, qui a longtemps travaillé auprès de Truffaut en tant que directeur de production, Janine c’est donc Charlotte Gainsbourg, presque la même que L’Effrontée, un peu grandie mais toujours de tous les contrastes, douce et revêche, féroce et blessée, audacieuse et timide, la marinière en moins et les années 1950 en plus.
“Je veux qu’on me rencontre”
A nouveau figure orpheline (sa mère l’a abandonnée), elle vit chez son oncle et sa tante, et rêve à nouveau de s’arracher de sa condition d’enfant, et surtout de fille pauvre qu’on “engueule” ou qu’on “tripote”. Pour s’enfuir de ce monde où elle est née mais qui n’est pas le sien, elle va au cinéma, porte des talons hauts en cachette et vole tout ce qu’elle peut (cadenas, vêtements, cigarettes…) pour s’offrir l’illusion d’une vie choisie.
“Je veux qu’on me rencontre”, dit-elle. Janine n’est pas vénale, elle cherche la beauté (“Le luxe c’est ce qui est beau, ce qui sert à rien”) et le romanesque. Elle essaie, échoue, apprend à faire l’amour et à aimer follement (l’angélique voyou Simon de La Brosse), se fait prendre la main dans le sac et recommence.
Récit cinglant d’un état du féminin
Roman d’apprentissage d’une enfant sauvage, La Petite Voleuse, de facture classique mais jamais académique, outre le tendre et terriblement attachant portrait de son héroïne, dessine aussi en creux le récit cinglant d’une condition et d’un état du féminin.
Le film s’ouvre d’ailleurs sur des images d’une grande violence, celles terrifiantes de la “Libération” – qui ne connaît qu’un genre, celui du masculin – et de ces femmes tondues, exhibées et humiliées. Cette violence, nous dit le film, c’est le risque encouru si l’on se décide à vivre sa vie, à se dérober à sa condition de fille-épouse-mère, à refuser son rang quitte à être cette “brebis galeuse” pointée du doigt, à inventer sa propre façon de marcher.
La Petite Voleuse de Claude Miller, avec Charlotte Gainsbourg, Didier Bezace, Simon de La Brosse (Fr., 1988, 1h43). Sur Arte le 1er février à 20h55 et sur arte.tv du 1er au 7 février
{"type":"Banniere-Basse"}