On les aime bien, ils sont sympas, plutôt bons, mais on va finir par plus les encadrer. Ces derniers temps, impossible d’ouvrir un film sans tomber sur Kad Merad ou François Cluzet. On imagine les agents ou acteurs qui téléphonent aux producteurs ou réalisateurs : “Allo ? Super le scénar’, et le rôle, je le sens […]
On les aime bien, ils sont sympas, plutôt bons, mais on va finir par plus les encadrer. Ces derniers temps, impossible d’ouvrir un film sans tomber sur Kad Merad ou François Cluzet. On imagine les agents ou acteurs qui téléphonent aux producteurs ou réalisateurs :
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« Allo ? Super le scénar’, et le rôle, je le sens profond, c’est pour moi ! »
– « Euh, non, t’es gentil, mais c’est déjà casté pour Kad/François. Sinon, le rôle du beau-frère qui apparait dans les séquences 4 et 22, ça t’intéresse ? »
Les acteurs du moment sont un peu comme les sprinters qui ne peuvent viser que la médaille d’argent à cause d’Usain Bolt, où les footballeurs pour qui « le-Ballon-d’or-c’est-que-dans-tes-rêves » tant que jouera Léo Messi.
Merad, une affaire de tronche
Alors Merad, Cluzet, pourquoi, comment ? Dans le cas Kad, c’est peut-être d’abord une affaire de tronche. Disons qu’il y a deux sortes d’acteurs à succès : ceux qui ressemblent à des demi-dieux, trop beaux, trop classes, trop glams pour le vulgum pecus et auxquels le public s’identifie en rêvant par procuration. Le genre What else ? Clooney, Brad Pitt, Johnny Depp… (Oui, ceux de ce genre-là sont généralement américains).
La deuxième catégorie, ce sont ceux qui arborent un physique aussi banal, ordinaire, passe-partout que le vulgum pecus et auxquels le public s’identifie tout court. Le genre Gabin, Depardieu, Merad… (Oui, ceux de ce genre-là sont généralement français). Par ailleurs, Kad a connu le succès tardivement (vers ses 35 ans), après des années de galères, d’animations au Club Med, ça dessine une histoire de travail, de mérite, de persévérance, avec succès pas tout cuit dans le bec, en laquelle chacun peut se reconnaitre, saupoudrée du côté conte, genre le crapaud qui devient prince.
N’oublions pas non plus que Kad est marrant, que le public français adore les « grosses comédies » et les comiques qui passent aux rôles sérieux et aux personnages attendrissants à gueule de 10e rôle qui galèrent un peu avec les femmes. La jurisprudence Bourvil, ou Coluche.
Dernier point, plus secret, non dit : Kad est né Kadder à Sidi Bel-Abès. Consciemment ou pas, les spectateurs français voient peut-être en lui l’Arabe sympa, franchouillard, l’Arabe finalement bien d’chez nous qui ne deale pas en bas de sa tèce et ne force pas sa femme à porter le voile, bref, un des derniers modèles de cette intégration républicaine dont on dit partout qu’elle ne fonctionne plus.
Maturité élégante pour Cluzet
François Cluzet, c’est autre chose : belle gueule, presque Clooney de chez nous, pas originaire de la diversité. Ce qui le rattache à Merad, c’est le succès tardif. Oui, c’est vrai, il a commencé tôt, a joué dans quelques Chabrol, mais pendant longtemps, Cluzet n’était pas une tête d’affiche, pas un bankable liste A, plutôt un type dont on connaissait la tête mais au statut un peu flou. Quand on le googlise, on décèle des trous d’air dans sa carrière, des années sans film ou des périodes de films oubliables et oubliés.
C’est en 2006 que la carrière de Cluzet cristallise au sommet avec le carton de Ne le dis à personne de Guillaume Canet. Depuis, il enquille les films dont on parle et les blockbusters, souvent les deux à la fois : A L’origine, Mon père est femme de ménage, Les Petits mouchoirs et, qui ai-je oublié ? Intouchables ! Comme si le vieillissement en fût de chêne, la maturité élégante, la séduction grisonnante lui avait conféré une aura de force tranquille de l’écran.
Allez, Kad et François, une proposition : vous jouez tous les deux dans Bienvenue chez les intouchables (réplique culte : « Pas de bras, pas de maroilles ! »), puis vous prenez dix ans de congés pour laisser un peu de place aux autres en haut des affiches.
Serge Kaganski
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