Autrice de plusieurs courts et d’un premier long (“Crache cœur” en 2015), Julia Kowalski nous revient avec un moyen métrage qui, depuis sa présentation à la Quinzaine des cinéastes en mai dernier, a reçu une pluie de distinctions, dont le prix Jean Vigo et tout récemment le Grand Prix du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand.
Avec J’ai vu le visage du diable, la cinéaste française retourne à la forme courte et se joint ainsi à la vision d’une génération de cinéastes, notamment celle des années 2010 – dont fait partie Yann Gonzalez, coproducteur du film –, engagée à rompre la hiérarchie des formats.
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On ne saurait contredire la démarche tant J’ai vu le visage du diable est accompli et se trouve être l’un des films les plus saisissants découverts en ce début d’année. Il convoite pourtant un territoire sujet, ces dernières années, à une intense réactualisation, au point qu’il apparaît désormais très aisé d’en déceler les tics apparents, celui de l’horror movie auteuriste conjugué à l’étude d’un jeune personnage féminin en plein bouleversement.
Les ravages de l’homophobie intégrée
Mais J’ai vu le visage du diable s’éloigne de tout soupçon d’un air du temps opportuniste, pour faire vibrer à chaque espace de sa fiction l’expression d’une vision de cinéaste, invoquant, comme on jetterait un sort, un imaginaire de cinéma (Friedkin, Romero), tout en sachant s’en affranchir. La réalisatrice fait cohabiter dans son film les motifs propres au genre en procédant à une sorte de dédiabolisation (un exorcisme consenti) de ses passages obligés, pour tirer l’horreur qui s’y joue (l’obscurantisme religieux en Pologne et partout) vers un naturalisme hanté (tout y est effrayant sans vraiment l’être).
Surtout, Julia Kowalski a la géniale intuition de faire de sa jeune protagoniste, l’hallucinante Maria Wróbel – dont la souplesse de jeu (elle peut être en état de transe dans une scène, puis redevenir une ado banale et joueuse dans l’autre) s’accorde à merveille avec le nuancier du film – la principale commanditaire de son calvaire : c’est parce qu’elle se sent attirée par les filles qu’elle décide de se faire exorciser.
En lui confiant ainsi les rênes de sa propre destinée, la cinéaste saisit avec une acuité inquiète, mais jamais doloriste, les ravages d’une homophobie parfaitement intégrée, mais laisse aussi grande ouverte la possibilité de s’en défaire. Une scène de bus incarne, avec une intensité émotionnelle traitée sur un mode mineur, cet horizon rendu si vivant par un dispositif de mise en scène extrêmement délicat : un panoramique sur deux visages bientôt connectés par un sourire échangé et le progressif éclaircissement d’une image d’après-midi d’hiver.
J’ai vu le visage du diable, de Julia Kowalski, avec Maria Wróbel. Disponible en streaming sur France TV ici
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