Dans la foulée de la sortie de son film « Seule sur la plage, la nuit », un livre collectif vient analyser l’œuvre du prolifique cinéaste coréen
Alors que vient de sortir Seule sur une plage la nuit en attendant La Caméra de Claire dans quelques semaines, alors que Hong sang-soo tourne depuis vingt ans et désormais à une moyenne ébourifante de deux ou trois films par an, il était sans doute l’heure de publier un ouvrage d’analyse de son cinéma. C’est l’idée simple et avisée qu’ont eu les universitaires Simon Daniellou et Antony Fiant en dirigeant Les Variations Hong Sang-soo, recueils de textes consacrés à l’art du rohmérien Coréen.
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Principe d’incertitude
Quoique qualifier Hong Sang-soo de rohmérien est un cliché, une facilité, affirment Claire Denis et Jacques Aumont. Dans sa préface, la cinéaste rappelle le lien d’amitié pudique qu’elle entretient avec l’auteur de La Caméra de Claire (titre en hommage à Denis ?), évoque son regard précis sur les relations amoureuses à travers ses personnages masculins puis féminins et confesse ressentir une profonde proximité avec les héros hongiens qui sont comme elle éduqués, cultivés et désargentés, soumis à une grande disjonction entre capital culturel et capital financier. De son côté, Aumont se focalise sur l’idiotie dans le cinéma de Hong Sang-soo, qui n’a évidemment rien de commun avec la stupidité. L’idiotie, ce sont ces détails incongrus (des poissons rouges, une pierre volcanique, des pommes et tomates…) qui surgissent parfois dans un plan, ou entre deux plans, et dont la signification est soit énigmatique, soit différée, soit nulle. Ces éléments qui n’ont pas d’apparente utilité dans la dramaturgie se comprennent parfois plus tard dans le film à la faveur d’un retour plus explicite, alors qu’à d’autres moments, ils sont juste là, arbitrairement, sans porter de sens particulier et sans la moindre nécessité Mais Aumont montre néanmoins que cette inutilité joue un rôle, ouvre le montage au principe d’incertitude ou de vacillement dans le récit.
https://youtu.be/ptrurx1pVAQ
L’incertitude est l’un des fondamentaux du cinéma hongien, sur lequel se penche Jean-Charles Villata à travers une analyse fouillée du plan long, véritable lieu et moteur de cette incertitude, pour les personnages comme pour les comédiens, qui flottent dans ces durées qui se prolongent, souvent dans les effluves de soju. Antony Fiant complète ce regard sur le principe d’incertitude sous un angle plus thématique, notant que les personnages hongiens sont souvent des adulescents qui hésitent à entrer franchement dans la vie adulte (celle où l’on est censé s’engager durablement dans le travail, le couple, la famille…) pas tant par refus idéologique des conventions que par peur de perdre leur liberté. Du coup, ils temporisent, procrastinent, se saoulent, tergiversent, papillonnent d’une histoire amoureuse (ou professionnelle) à l’autre, mais décident très rarement de « se poser » pour surtout ne rien figer.
Temps introuvé
Autre ligne de force du cinéma de HSS, sa manie de dédoubler les récits, de mélanger le vécu et le rêvé, le flashback et le flashforward, ce qui conduit Frédéric Sabouraud à s’interroger sur « le temps introuvé » chez Hong, sur cet état flottant, vaporeux, qui affecte les personnages, mais aussi le spectateur parfois somnolent, parfois perdu dans la chronologie incertaine des récits amoureux qui défilent à l’écran dans un flou temporel concerté.
Une confusion que semble reprendre aussi à son compte Mathieu Macheret (son texte est intitulé La Loi du désordre) en relevant le montage désordonné de La Caméra de Claire (mais c’est le cas de nombreux films hongiens) qui « créé une légère perturbation dans l’enchaînement des séquences », comme si les vapeurs de la bière et du soju contaminaient l’écriture, la mise en scène, le montage – et pourquoi pas le spectateur. Ces déréglages de temporalités et de structure sont raccords avec la musicalité du cinéma de HSS, caractéristique générale relevée par plusieurs des contributeurs. Eternelle ritournelle de l’indécision et de la confusion des sentiments, scandée par des musiques en forme de ritournelle, telle est, sous ses dehors à priori banals et quotidiens, la poétique singulière et envoûtante de Hong Sang-soo.
(PS : il s’agit là d’un volume 1. Un second volume est annoncé qui donnera la parole aux collaborateurs, distributeurs et diffuseurs du cinéaste, de façon à faire le tour complet de la planète Hong Sang-soo).
Les Variations Hong Sang-soo, sous la direction de Simon Daniellou et Antony Fiant (De L’incidence éditeur)
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