Boursouflé et malhonnête, le nouveau film autour de l’icône de la Toho se vautre dans les grandes largeurs, à force de ne pas assumer sa note d’intention.
Le reboot américain de Godzilla, réalisé en 2014 par Gareth Edwards, était une étonnante réussite. En plus de venger le roi des kaiju de l’hérésie de Roland Emmerich, le film revisitait le mythe nippon avec déférence, en en faisant l’expression d’une nature contrainte de remettre de l’ordre, sans que l’être humain ne puisse intervenir. Les personnages devenaient ainsi des spectateurs passifs, pouvant juste observer, avec nous, la magnificence des événements se déroulant sous leurs yeux. Chose risquée pour un tel blockbuster, le long métrage façonnait sa mythologie par l’économie et le hors-champ, désamorçant de nombreux effets pour nous frustrer, et asseoir la supériorité d’un dieu qu’il nous est impossible de comprendre.
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Mais forcément, suite aux critiques d’une partie du public, estimant ne pas en avoir eu pour son argent, on ne s’attendait pas à ce que le deuxième volet poursuive avec cette même note d’intention (surtout lorsqu’il est censé ancrer un univers étendu amorcé par Kong : Skull Island, au vu d’une confrontation prochaine entre les deux titans). Résultat, Godzilla 2, cette fois réalisé par Michael Dougherty, se transforme en énième destruction porn désincarné, écrasé par un cahier des charges plus énorme encore que ses créatures.
Désireux d’être l’antithèse de son prédécesseur tout en conservant certains de ses acquis, cet opus se montre aussi timoré que laborieux, embourbé par un sérieux qui le pousse à rationaliser le spectacle décomplexé qu’il nous a promis. L’artificialité de ses circonvolutions est d’ailleurs terrifiante de normativisme, telle une suite algorithmique d’effets de mode mal agencés pompés sur la concurrence : un prétexte éco-terroriste fumeux (coucou Thanos), une agence secrète qui réunit et combat des mythes modernes (coucou le S.H.I.E.L.D.), et bien évidemment, un catastrophisme pompeux, qui n’assume jamais sa mise en scène de la désolation.
Gros pétard mouillé
En réalité, ce Roi des monstres souffre de vouloir le beurre et l’argent du beurre, ce qui se ressent particulièrement dans sa réalisation et son montage à la serpe, incapables de choisir entre des plans aériens sur sa galerie de monstres, et un point de vue centré sur l’humain (les contrastes d’échelles sont de toute façon bien moins élégants que ceux d’Edwards). Ses nombreux personnages, qui oscillent entre la girouette et la pancarte à exposition, se veulent plus actifs que dans le volet précédent, tout en demeurant foncièrement inutiles. Il faut ainsi endurer une suite interminable de séquences de dialogues surexplicatifs devant une myriade d’écrans, points de raccords nécessaires pour introduire chaque enjeu et chaque scène d’action.
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Là où Skull Island avait le mérite de s’avouer immédiatement vaincu sur le plan des rapports humains, pour nous offrir le plus vite possible un monster porn jouissif, Godzilla 2 nous trompe sur la marchandise en s’efforçant de développer un récit familial insipide. Plus creux que les costumes que portaient les comédiens lors des premiers films de la Toho (on en vient à se demander si ce n’est pas voulu…), chaque humain présent dans le film nous prive d’une quelconque accroche émotionnelle, en plus de contrecarrer, par une misanthropie involontaire, l’élan humaniste que le récit voudrait délivrer.
En même temps, le McGuffin du long métrage – une machine à fréquences pour communiquer et attirer les monstres – aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Bien que le métrage essaie de nous affirmer l’inverse, Godzilla et ses camarades deviennent bien des animaux de compagnie auxquels on envoie un os géant. Hollywood n’aura pas résisté longtemps à la tentation de l’appropriation culturelle, marquant au fer rouge sa possession nouvelle d’une légende du cinéma reflétant pourtant l’indépendance, et l’impossibilité de contrôler la nature. Dommage.
Godzilla 2 – Roi des monstres de Michael Dougherty avec Millie Bobby Brown, Kyle Chandler, Vera Farmiga (E-U, 2019, 2h12)
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