Le dernier film de Christopher Nolan met en lumière un épisode méconnu en France de la Seconde Guerre mondiale : la bataille de Dunkerque. Loué par la critique pour son esthétisme et sa visée immersive, le long-métrage du réalisateur britanno-américain rend hommage à son pays natal et oublie en grande partie la France.
Dunkerque commence à Dunkerque. Tommy, un jeune soldat britannique parcourt les rues de la ville assiégée. Suite à un échange de tirs, il se précipite vers la place. Des soldats français lui souhaitent un « bon voyage! » C’est la première et dernière fois du film où on les verra au combat. Dunkerque, 10e long-métrage du réalisateur américain Christopher Nolan, retrace l’opération Dynamo en mai 1940. Un moment décisif de la Seconde Guerre mondiale mais méconnu en France. Si le film l’a mis en lumière, il éclipse pourtant une grande partie de l’histoire. Quid du rôle de l’armée française sans laquelle jamais cette opération de sauvetage à grande échelle n’aurait été possible ?
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En mai 1940, 400 000 soldats du corps expéditionnaire britannique se retrouvent coincés dans la poche de Dunkerque, entre l’armée allemande et la mer du Nord. Au loin, ils aperçoivent l’Angleterre, « la patrie« , à 40 kilomètres de la plage où ils attendent et essuient les tirs ennemis. Du 26 mai au 4 juin 1940, l’opération Dynamo se met en place afin d’évacuer par bateau les soldats britanniques tandis que la Wehrmacht s’approche dangereusement. Cette mission de la dernière chance est un succès. Churchill s’attendait à sauver au mieux 40 000 hommes, ils sont plus de 330 000 à débarquer sur les côtes anglaises.
Pour permettre aux troupes britanniques d’embarquer, 40 000 soldats français résistent face à 120 000 Allemands. « Ils se sont sacrifiés« , insiste Dominique Lormier, historien spécialiste de l’époque et auteur de La bataille de Dunkerque (éd. Tallandier, 2011). Leur courage est tel que « même les Allemands leur ont rendu les honneurs de la guerre« , poursuit l’historien. Un « sacrifice » à peine abordé dans la nouvelle oeuvre de Nolan qui fait grincer des dents côté français. Les rares évocations du rôle de l’armée française tiennent en deux citations. Lorsque le capitaine Winnant rapporte que « l’arrière-garde tient, les Français la protègent » et quand le commandant Bolton, qui, tel le capitaine du Titanic refusant de quitter le navire, décide de rester à Dunkerque pour « aider les Français. »
Un film de survie
Christopher Nolan l’a assumé, il a davantage voulu faire un film de survie, un « survival movie« , qu’un véritable film de guerre. A contrario des classiques du genre, à l’instar de Il faut sauver le soldat Ryan, Dunkerque se concentre sur un pan précis de l’opération Dynamo : l’évacuation. On y est submergé, presque pris soi-même au piège sur la place de Dunkerque. « C’est un film honnête, estime Dominique Lormier, il relate un point de vue anglo-saxon et n’a pas une vision panoramique des événements. Même si l’on peut regretter qu’il ne souligne pas suffisamment l’apport des Français. »
Encensé par la critique, Dunkerque pècherait par excès de « tropisme anglo-saxon » selon le Monde. En effet, la participation des soldats français à l’opération se retrouve à peu près passée à l’as. Quitte à faire oublier que, sans l’aide décisive de l’armée française, jamais autant de Britanniques n’auraient pu retraverser la Manche. Un point sur lequel insiste Dominique Lormier.
« Les Français ont couvert l’embarquement. La marine française a joué un rôle très important. En tout, les Français ont eu plus de pertes que les Britanniques. En approchant les lignes allemandes, l’aéronavale française a été décimée pendant que les Britanniques embarquaient. »
Le fil narratif du seul Français présent de manière récurrente dans le film est peut-être à percevoir comme la métaphore de la vision qu’ont alors les états-majors de l’armée anglaise de l’armée française. Si les deux pays sont encore alliés, la Grande-Bretagne a perdu confiance en l’armée française depuis la débâcle de la bataille de France. Pourtant les soldats français continuent d’appuyer de manière cruciale les Britanniques. Dans Dunkerque, le soldat français dérobe un uniforme anglais pour se sauver et embarquer. Découvert, des soldats britanniques tentent de le sacrifier pour alléger le navire, alors qu’il les avait sauvés auparavant.
L’armée française pourtant bien présente
Mais si le cinéaste fait le choix délibéré de se focaliser sur l’évacuation, là encore, les Français en sont absents. On ne les voit nulle part sur l’immense plage ou bien furtivement lorsqu’un groupe tente en vain d’embarquer sur un navire. Si, comme le montre la scène, les Britanniques ont été évacués en priorité, environ 120 000 soldats français sont partis vers la Grande-Bretagne. De même, la participation matérielle de l’armée française à l’évacuation est passée à la trappe. D’après le livre La bataille de Dunkerque, « sur ces 848 navires utilisés, 519 sont britanniques, 300 français ». 40% de la flotte qui rapatria les soldats en Grande-Bretagne est donc oubliée.
L’armée française s’est largement impliquée dans l’opération Dynamo. 123 navires de la marine nationale sont coulés par les tirs ennemis. Nolan préfère insister sur la dimension héroïque des citoyens britanniques qui traversent la Manche sur leurs canots, barques et voiliers pour secourir leurs soldats. Il en découle une vision très romancée, si l’on en croit l’historien Mark Connelly, qui, dans un chapitre du livre La guerre de 1940, écrit : « La plupart des propriétaires de bateaux et des équipages civils n’avaient aucune envie de remplir ce rôle extrêmement dangereux et se contentèrent de remplir leurs bateaux d’hommes et de rentrer. »
Dans Dunkerque et sa vision très (trop ?) anglo-centrée de l’opération Dynamo, le courage des soldats britanniques n’a d’égal que l’héroïsme de leurs compatriotes civils. Si Nolan mentionne à peine les troupes françaises dans son film, il connaît pourtant leur mérite, qu’il saluait dans un entretien au Point:
« À la fin du film, un personnage prend une décision (…) qui est très importante à mes yeux pour saluer l’héroïsme des troupes française (le commandant Bolton reste pour aider ces dernières à embarquer). Sans elles, les forces britanniques n’auraient jamais pu s’échapper de Dunkerque et il est important que nous Anglais, intégrions davantage ce point dans notre récit national »
Un dernier point dont pourrait s’inspirer la France selon Dominique Lormier. « En France, on a une vision réductrice de la défaite de 1940 et on n’a pas assez souligné le sacrifice des soldats français« , regrette l’historien.
La bataille de Dunkerque, de Dominique Lormier, éd. Tallandier, 16,90€
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