A l’occasion de sa reprise en salle le 25 juillet, retour sur « Blood Simple » le premier film des frères Coen qui annonce déjà leur style et leur immense filmographie à venir.
Bien avant d’être un tube de Johnny en duo avec David de la fin du XXe siècle, n’oublions pas que Sang pour Sang fut le titre français d’un premier film, celui d’un coup d’essai remarquable réalisé en 1984 par deux frangins inconnus originaires du Minnesota : Joel et Ethan Coen.
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Quelques années plus tôt, le premier vient tout juste d’empocher son diplôme d’audiovisuel à la prestigieuse New York University et se lance comme assistant de production sur des films et des clips. Touche à tout, il s’essaye en parallèle au métier de monteur et est embauché comme assistant monteur sur des films d’horreur fauchés dont Evil Dead, le premier long métrage de son ami Sam Raimi en 1981. Son petit frère Ethan l’ayant rejoint à New York, ils commencent à rédiger le scénario d’un polar à la Raymond Chandler (Le Grand Sommeil) ou James M. Cain (Assurance sur la mort) se déroulant au Texas : Blood Simple. En un an, ils récupèrent près d’un million de dollars auprès de leurs proches et initie le tournage du film dans la foulée, durant l’automne 1982. Au casting, les deux frères engagent la jeune débutante Frances McDormand qui deviendra par la suite l’épouse de Joel.
Blood Simple nous plonge donc dans la chaleur moite du Texas. Marty, le gérant d’un bar, suspecte son épouse Abby de le tromper avec un de ses barmen, Ray. Marty engage alors un détective privé, Visser, afin d’éliminer le couple Abby/Ray. À partir de ce canevas convenu du film noir, Joel et Ethan Coen complexifient alors le récit et rien ne se passe comme prévu : Visser ne tue pas le couple mais élimine Marty après avoir récupéré son argent. S’ensuit alors une course-poursuite entre Visser et le couple qui finira en bain de sang.
Un manifeste du cinéma et de la méthode Coen
« Le monde est plein de gens qui se plaignent. Mais le fait est que rien n’est jamais vraiment garanti… » commente le détective privé Loren Visser en ouverture de Blood Simple. Dès leur naissance sur grand écran, les Coen font appel à un narrateur, ce qui restera un code récurrent de leur cinéma afin d’introduire et clôturer le récit : la voix désabusée de Tommy Lee Jones alias Sherif Bell dans No Country for old men ou de Billy Bob Thornton/Ed Crane dans The Barber ou bien, plus décalé, l’étranger moustachu de The Big Lebowski.
Au delà de cette similitude, il est d’ailleurs impressionnant de voir comment avec ce premier film, les frangins imposent déjà leur style si particulier : une ironie grinçante, une mélancolie aigre-douce dont soudain jaillit une extrême violence, un attrait particulier pour les losers et l’Amérique profonde, et, bien sûr, un art puisant sans cesse dans la mythologie du cinéma américain (le cinéma de Capra dans Le Grand Saut, le film de gangster dans Miller’s Crossing, le film noir dans Fargo, le western dans No Country For Old Men et True Grit, la comédie burlesque dans Arizona Junior, The Big Lebowski, Burn After Reading et des éléments empruntées au cinéma d’horreur (Barton Fink, No Country Ford Old Men). En préfigurant à peu près toute cette riche filmographie à venir, Blood Simple est bien plus qu’un premier film parfaitement maitrisé, c’est un manifeste du cinéma coennien. Notons également certain cadrage d’une invention folle, presque wellsien et nourri par un très beau travail sur la lumière du chef op Barry Sonnenfeld (futur réalisateur de Men In Black) qui fait danser les couches successives de couleur au milieu d’un noir de cendre. La palette chromatique de l’image chez les Coen se fait déjà sentir.
Dans son mode de production, le film est aussi caractéristique de la patte des frangins. Réalisé avec un budget ultra modeste, Joel et Ethan jouissent d’une indépendance quasi totale sur le final cut du film. Une liberté que le duo continuera de bénéficier tout au long de sa carrière en étant à la fois producteurs, scénaristes et monteurs de ses projets. Après un passage remarqué au Festival du Film Fantastique de Paris en 1984 et au Festival du Film Policier de Cognac l’année suivante, Blood Simple trouve finalement un distributeur. Une petite boite débutante (Circle Releasing), qui empochera 3 millions de dollars de recettes. Une somme qui sera aussitôt réinjecté dans le projet suivant des frères, Arizona Junior. « Tout le monde était plutôt satisfait« , dira Joel. Avec une facilité déconcertante, la machine Coen est alors lancée.
Plutôt méconnu dans la filmo de Joel et Ethan – certain préféreront les oeuvres cultes (The Big Lebowski, Fargo), les autres les plus personnelles (Inside Llewyn Davis, A Serious Man) – Blood Simple est un film de jeunesse dont la maîtrise bluffante et le style révèlent déjà l’immense carrière à venir des Coen. Car, au-delà de leurs différences, Blood Simple et le reste de leur filmographie, se « ressemblent saaannng pour saaannng ». C’est Johnny qui le dit.
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