Portrait de Rivette tressé par les trois actrices de Haut bas fragile: Marianne Denicourt, Nathalie Richard et Laurence Côte
Haut : Marianne Denicourt
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Un visage étrange et classique, mangé par de grands yeux bleus : on a repéré ce mélange d’intelligence et de discrétion chez Doillon, Chéreau et, bien sûr, chez Arnaud Desplechin. Dans Haut bas fragile, elle est « haut », jeune fille bourgeoise qui prend ses distances avec un père papa poule la filiation, c’est compliqué comme un coup de fil. Rivette a choisi de libérer toute une réserve de gaieté et de spontanéité enfermée dans ce long corps altier.
« Rivette est arrivé avec un projet sans histoire. Seuls étaient spécifiés le lieu (Paris) et les personnages (des jeunes filles). Puis il m’a demandé si je savais danser : il avait envie de faire un film en mouvement, m’a parlé de couleurs, de légèreté, de gaieté pas dans le sujet, mais dans le traitement. Il voulait intégrer un côté « comédie musicale », mais avec des moyens réduits et dans un laps de temps très court. Il souhaitait que, dans le film, le chant, la danse soient arbitraires, surprenants. Il se découvrait parfois une âme de chorégraphe, lors de scènes de comédie où il était très précis dans son choix des mouvements, du placement des mains par rapport à la caméra.
Jusqu’au dernier jour du tournage, nous ne savions pas précisément quelle scène allait être tournée, c’était très ouvert. Il y avait des réunions entre Rivette et les scénaristes, on se voyait le week-end et cela, c’est spécifique à Rivette.
Avec les acteurs, il est très discret. Il a une façon très particulière de s’imposer par son entêtement à vouloir faire les choses, mais laisse beaucoup de liberté, autant aux acteurs qu’aux scénaristes. Il travaille d’après les propositions émises selon un agencement un peu mystérieux. Jamais je ne l’ai entendu donner d’instructions sur la psychologie des personnages. Eventuellement, il donne des indications sur un mot, sur une chose très petite et très précise à laquelle il tient particulièrement, mais la liberté demeure immense d’ailleurs il filme beaucoup par plans-séquences, avec peu de prises. Par exemple, dans la scène du « poulet », je fais une grimace : il l’a laissée. C’est une sorte de compte rendu. On travaille pour lui mais tout nous est rendu, c’est un comportement très généreux.
Au début du film, il avait un petit carnet dans lequel il avait noté des citations qu’il aimait. L’une d’elle était de Nietzsche : « Ce qui compte ce n’est pas la vie éternelle, mais l’éternelle vivacité » elle lui correspond très bien. Le temps n’a pas de prise sur lui, il a une curiosité insatiable d’adolescent, et faire un film aussi léger après avoir traversé tant de générations, tant d’époques différentes du cinéma, c’est rare. »
Bas : Nathalie Richard
La plus secrète des trois. Ses grandes mèches blondes signe distinctif semblent masquer un très riche univers intérieur. On l’a déjà vue chez Rivette ainsi que chez Kahn, Klapisch, Assayas, Le Roux ou Corsini. Elle est « bas », fleur du pavé sans passé ni futur, qui survit de boulots temporaires et de petits larcins. Fidèle à sa ligne de conduite, Rivette ne juge pas son personnage.
« Rivette n’écrit pas de scénario, il propose un projet et l’histoire se construit en commun. En premier lieu, il choisit quelques personnes avec lesquelles il a envie de travailler. Dans ce film, il voulait que le corps ait une grande importance, une différence par rapport à La Bande des quatre ou à Jeanne, où le verbe était la référence. Il voulait l’été, Paris, la danse, la joie et souhaitait aller vers la comédie même en abordant des sujets graves : un traitement aérien, sans tomber dans la psychologie, ni dans la leçon de morale.
Avec Rivette, on passe du temps autour d’une table à chercher ensemble, à partager notre imagination ou notre manque et, personnellement, je communique beaucoup plus avec Jacques qu’avec d’autres réalisateurs. La préparation est artisanale, ouverte, on regroupe de la matière et lui organise. Mais le rapport au jeu est important, il reste très ludique. Chez lui, je retiens sa vivacité d’esprit, sa curiosité en tout genre. Il peut aimer ce qui est à l’opposé de son uvre, ce qui dénote une grande ouverture d’esprit. Il poursuit son chemin, offre son univers sans essayer de l’imposer.
Fragile : Laurence Côte
La plus bavarde, spontanée, extravertie des trois. Son itinéraire a souvent croisé celui des deux autres. On l’a déjà vue dans La Bande des quatre de Rivette et on se souvient d’elle chez Doillon, Desplechin, Godard, Le Roux, Gallota. Elle reviendra très prochainement dans Circuit Carole d’Emmanuelle Cuau (la s’ur de Marianne Denicourt). Un vrai réseau, digne d’un film de Rivette. Laurence Côte est « fragile », fille de la Dass à la recherche de sa mère. Avec son histoire, Rivette trace une ligne droite à côté des sinusoïdales croisées que sont « haut » et « bas ».
« Les deux fois où j’ai travaillé avec Rivette, j’ai participé au scénario. Sur La Bande des quatre, on faisait déjà des comités d’écriture. Il a une culture cinématographique, littéraire, musicale immense : c’est un érudit. Pour Haut bas fragile, c’est moi qui l’ai appelé, j’avais très envie de retravailler avec lui. Lorsque nous nous sommes vus, je suis arrivée avec un scénario que j’avais écrit. Jacques avait déjà un projet avec Marianne et Nathalie, mais il cherchait une troisième actrice. Ce que j’apprécie, c’est qu’il s’est totalement approprié mon histoire. Cette qualité d’absorption, de réappropriation est une des caractéristiques de Rivette. Ce film est le sien, il l’a construit de toutes pièces malgré notre apport au scénario.
Je pense qu’il apprécie les acteurs qui savent prendre une certaine distance, mais intensément. On s’est beaucoup accrochés à ce sujet, car il veut amener les acteurs à se contenir sans tomber dans les cris. A l’époque de La Bande des quatre, il me répétait « lis Le Paradoxe du comédien de Diderot ! ». Dans la scène de la bibliothèque de Haut bas fragile, il avait le choix entre une prise où nous étions en larmes et une autre où l’émotion était contenue : il a préféré la seconde car il pense qu’ainsi l’émotion est plus forte pour le spectateur si l’acteur pleure, il empêche le spectateur de pleurer. A la fin, quand je m’échappe en courant, j’ai voulu ajouter un cri. Mais il m’a dit que la course était plus forte que le cri. Il tamise ce qu’on lui donne pour enlever les scories.
Rivette est une personne très drôle, qui adore la compagnie des femmes. Sur le tournage, il venait danser avec Nathalie mais quand il sait que personne ne l’attend, lorsqu’il se sent libre et détaché.
C’est un homme qui adore rire, qui aime bien les magazines comme Elle, la variété française, les Smiths. Il reste très curieux des films des autres, ce qui est rare. Il ne crache pas sur le cinéma américain, il adore une actrice comme Melanie Griffith. Enfin, Rivette est capable de voir ce qu’il y a de beau chez les gens et de les rendre magnifiques à l’écran. »
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