En six long-métrages et 23 ans de carrière, Noémie Lvovsky a imposé un ton très singulier dans le cinéma français, fait de loufoquerie écorché, de vibrations d’enfance, de petites secousses délirantes et acides. « Les sentiments » et « Camille redouble » l’ont imposé comme auteur à succès. Son nouveau film « Demain et tous les autres jours » est l’évocation brutale de l’enfance d’une petite fille aux prises avec une mère folle. Entre deux silences pudiques, la cinéaste évoque pour nous son parcours, sa jeunesse, son art
Voilà vingt-trois ans, depuis « Oublie-moi », son premier, que Noémie Lvovsky réalise des longs-métrages. Nous l’avons souvent interviewée dans les Inrocks. Où en est-elle aujourd’hui ?
En vingt-trois ans, elle a été récompensée par les prix les plus beaux du cinéma français : le Jean Vigo en 1999 pour La vie ne me fait pas peur, et le Louis Delluc en 2003 pour Les sentiments.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il y a cinq ans, Camille redouble avait cartonné. Son plus gros succès à ce jour, avec Les Sentiments. Elle est une actrice populaire (souvenez du rôle de la mère dans Les Beaux gosses de Riad Sattouf). Son nouveau film, Demain et tous les autres jours, est un film différent : plus rude, plus triste, plus personnel peut-être que Camille redouble, même si elle refuse le terme.
Noémie Lvovsky rajeunirait-elle, du moins dans son cinéma ? Dans Camille redouble, elle mettait en scène et jouait le rôle d’une femme qui se retrouvait à l’époque de son adolescence. Qui tentait même de sauver sa mère d’une mort qu’elle savait annoncée… Dans Demain et tous les autres jours, c’est cette fois-ci une petite fille qui se retrouve au centre du film, et qui tente elle aussi d’aider une mère de plus en plus border-line (qui fait des fugues inexpliquées, qui reste couchée toute la journée dans son lit…). Serait-ce liée à son histoire familiale ?
A vrai dire, Noémie Lvovsky ne veut pas considérer que ses films soient autobiographiques. Ce que son amie Valeria Bruni-Tedeschi assume parfaitement (Lvovsky, d’ailleurs, tourne actuellement dans le nouveau film de VBT), un cinéma du « je » évidemment très stylisé et romancé, ce n’est pas le sujet de NL.
Mais nous en saurons pas tellement plus. La confidence n’est pas le genre de Noémie Lvosky, et elle traduit souvent sa gêne en souriant, dévoilant au coin de ses yeux des pâtes d’oie ravissantes que nous connaissons bien pour les avoir souvent vues dans ses rôles au cinéma. Elles semblent lui servir de boucliers quand elle ne veut pas répondre à une question. Elle en a évidemment bien le droit. Elle ne nous parlera pas de sa mère, ou d’elle-même en tant que mère…
Cette petite fille, Mathilde, a neuf ans. Comment étiez-vous, à neuf ans ? « Ma première vocation fut celle d’être clown. C’est Harpo Marx qui m’inspirait, je l’adorais et je l’adore toujours« . Le coup de l’enfant qui désire devenir clown est un cas assez classique en psychanalyse… Qui souhaitait-elle faire rire ? Qui était triste dans la famille ? lui demandons-nous bien lourdement…
Noémie Lvovsky ne s’étendra pas sur le divan, mais m’explique que son père, qui était ophtalmo (ah oui ?…) et était un homme grave. « Il avait vécu des choses très dure dans son enfance, dont je ne veux pas parler, mais ce n’est pas difficile à deviner. Et quand nous regardions des comédies américaines des années 30, 40, 50 ensemble, qu’il adorait, je le voyais soudain sourire et rire. Il adorait devant Harpo« . Et elle sourit avec grande émotion. Et on s’identifie très facilement à cette petite fille qui aimait regarder ce père aimé rire, enfin.
Il est assez facile de remarquer, au passage, à quel point les rôles de père ne sont jamais sacrifiés, bâclés, réduits à des clichés dans ses films (Jean-Pierre Marielle dans Faut que ça danse ou Samir Guesmi dans Camille redouble, par exemple). Dans Demain et les les autres jours, Mathieu Amalric est l’ex de la mère, le père de Mathilde. Quand tout commence à partir en eau de boudin, ce père qu’on pourrait croire absent débarque, prend en main la mère, ne la force à rien. mais il rassure mère et fille, il assure.
Dans l’enfance, pour Noémie Lvovsky, il y eut le théâtre au collège, au lycée, au conservatoire. Pas l’école du cirque. Le théâtre lui permettait de respirer. Après le bac, elle se lance dans des études de littérature (hypokhâgne et khâgne) au début des années 80, puis découvre les cours de Jean Douchet à Jussieu sur le cinéma.
Le cinéma lui apparaît enfin, ce qu’il peut faire. Il peut vous sauver, vous aider à aimer la vie. Noémie Lvosvky l’a souvent dit dans des interviews, les cours de Douchet l’ont ouverte sur le cinéma. Ses yeux brillent encore quand elle l’évoque. Elle se souvient aussi des cours de Bernard Cuau – le père d’Emmanuelle Cuau et de Marianne Denicourt. Alors elle tente et réussit la Femis, en scénario. Par Eric Rochant, elle fait la connaissance d’Arnaud Desplechin, qui va être son troisième mentor. En travaillant avec lui, qui n’est encore qu’un débutant (elle est scripte et s’occupe du casting de La Vie des mots, son moyen-métrage), elle apprend que tout compte dans un film : acteurs, musique, décors, photo, tout. Que le cinéma peut être un sacerdoce pour certains, comme Desplechin. Et que ça vaut le coup.
De cette rencontre avec Noémie Lvovsky et ses sourires pudiques et silencieux, on ressort avec le sentiment d’avoir retrouvé une partie de sa jeunesse. Le temps ne passe pas, la foi de Noémie Lvovsky dans le cinéma semble inentamée. Le cinéma, ce truc très étrange, quand même, fait manifestement pour les enfants perdus.
{"type":"Banniere-Basse"}