Alors qu’il présentait « Thunder Road »en mai dernier à Cannes, nous avions rencontré l’acteur et réalisateur Jim Cummings. L’occasion d’en savoir un peu plus sur le parcours du jeune talent, des courts-métrages amateurs à Youtube, du métier de producteur jusqu’à la révélation « Thunder Road ».
Jim Cummings parle vite. Et parle beaucoup. C’est la première chose qui nous avait frappé, lorsque nous le rencontrions à Cannes où il était venu présenter, en mai dernier, son premier long-métrage Thunder Road, à la sélection ACID. En deux minutes chrono, il nous avait déjà raconté ce qui en aurait pris vingt à n’importe qui d’autre, et à la fin de l’interview, on avait l’impression de le connaître depuis la maternelle tant il nous avait délivré d’informations — sans qu’on ait, aucunement, évoqué sa maternelle. Son babil est dense, mais nullement vague : Jim Cummings donne l’impression de savoir exactement ce qu’il fait et où il va, parlant avec une surprenante autorité pour quelqu’un d’aussi jeune (32 ans). Et si d’aventure il bluffe, alors c’est un excellent acteur.
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« Tu te lèves en te disant que personne ne va t’aider »
De fait, c’est un excellent acteur. En plus d’être un cinéaste hyper-prometteur — l’un n’empêche pas l’autre. Dans Thunder Road, il joue Jimmy Arnaud (drôle de nom), flic cyclothymique et paumé après la mort de sa mère, dont il foire, dans un premier plan séquence d’anthologie, l’éloge funèbre, à grand renfort de Bruce Springsteen — Thunder Road est un de ses titres les plus fameux. A la base pourtant, Jim Cummings n’est pas comédien. Mais comme aucun acteur n’arrivait à interpréter correctement le personnage (« ils étaient tous trop propres dans leur diction »), il en a endossé le costume — et la moustache. Et cela vaut pour chacun des postes qu’il occupe au générique, en véritable homme-orchestre : scénariste, réalisateur, producteur, compositeur, effets spéciaux. « Voilà le truc, nous sort-t-il de but en blanc : tous les matins, tu te lèves en te disant que personne ne va t’aider, que tu vas passer ta journée tout seul, à tout faire. La cavalerie ne viendra pas mec ; et si tu l’attends, t’es foutu… Eh bien, crois-moi, si tu pars avec cet état d’esprit, non seulement tes projets vont avancer, mais des gens compétents vont rapidement te rejoindre pour t’aider ».
Thunder Road à peine sorti, il va ainsi tourner son prochain film en décembre (« c’est Zodiac avec un loup-garou, à 90% film fauché, à 10% blockbuster » — Cummings ou l’art du pitch), et nous confie avoir déjà écrit les scénarios des deux prochains, qu’il compte réaliser dans la foulée. Sans attendre qu’une bonne fée se penche sur son pourtant si joli berceau. Bon vieux Do It Yourself, encore et toujours.
« j’ai parfois vu passer des choses si médiocres que ça m’a redonné confiance en moi »
Ce principe, il l’a d’abord appliqué à la maison, en bon laborantin, lorsqu’adolescent il prenait la caméra de papa pour remaker Matrix — « pas super », avoue-t-il. Pour donner un peu plus d’épaisseur à ses rêves, il quitte sa Nouvelle-Orléans natale et rejoint Boston, où il intègre le prestigieux college Emerson, très réputé dans les arts. Comme il se doit, il y étudie le cinéma, et y réalise ses premiers courts-métrages. Mais très vite, il déchante : « mes comédies n’étaient pas très drôles, mes drames pas très émouvants, et les festivals ne me donnaient jamais de prix. Les gens restaient polis avec moi, mais je me suis convaincu que je n’avais pas de talent ». Tant pis, se dit-il, direction Los Angeles, où à défaut de réaliser, il produira des films. Enfin des films… Plutôt, dans un premier temps, des sketchs YouTube pour le site College Humour. « J’ai fait ça sept ans, se remémore-t-il. Je n’aimais pas ce job, mais il avait deux avantages : 1) les embouteillages que je traversais chaque jour pour m’y rendre me laissaient le temps d’imaginer un tas d’histoires ; 2) j’ai parfois vu passer des choses si médiocres que ça m’a redonné confiance en moi : tout compte fait je n’étais pas si nul par rapport aux autres. »
En fouillant sa fiche imdb, on se rend toutefois compte que son CV de producteur est loin d’être déshonorant. En 2015, il travaille sur deux superbes projets, qui finiront d’ailleurs à Cannes : Krisha, de Troy Edward Shults et The Grief of Others, de Patrick Wang (à qui, nous raconte-t-il, il décida de « filer un coup de main sur la foi du visionnage de son premier film, le magnifique In The Family, et de discussions cinéphiles enflammées »). Mais c’est en 2016 qu’il a le déclic. Jim est dans sa baignoire lorsqu’il repense à une discussion avec un ami sur les éloges funèbres ratés, et se laisse percuter par un train d’idées : « Et si ma mère venait à mourir, qu’est-ce que je ferais pour son enterrement ? Quels mots je prononcerais, quelle chanson je jouerais ? Et si je foirais et me ridiculisais devant tout le monde ? Et si j’exerçais un métier, genre flic, qui m’obligeait à porter tout le temps l’uniforme ? Et si j’avais une fille dont j’étais sur le point de perdre la garde ? etc. »…
Rien d’autobiographique là dedans, contrairement au cliché du « premier film sur ce qu’on connait le mieux : soi-même« , mais de quoi réussir, d’abord un court-métrage composé d’un seul plan de douze minutes (qui remporta le grand prix à Sundance), puis un an plus tard, un long « partant du même plan-séquence, et creusant davantage le personnage, son envie de tout plaquer pour s’installer ailleurs et changer de vie ». On en revient ainsi à Bruce Springsteen, qui chantait en 75 : « Oh oh, come take my hand / We’re riding out tonight to case the promised land / Oh oh oh oh, Thunder Road ». Jim Cummings a manifestement eu raison de l’emprunter, la route du tonnerre : la terre promise n’est plus très loin.
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