Histoire fragmentaire d’un triangle amoureux, attisée par ses non-dits incessants.
Malgré un titre français bateau, qui ne vaut pas l’anglais, plus concis (Knitting : “tricotage”), ce beau et simple film chinois sur un triangle amoureux est ce qu’on a vu de plus plaisant depuis un bout de temps. Il assume la condition humaine sans surplomb, sans le moindre rond de jambe pour entrer en matière. Sa force est son pragmatisme. Au lieu, comme dans le cinéma occidental, de situer ses personnages dans un cadre plus vaste (émotionnel, social, familial), on entre franco dans le vif du sujet, plongeant sans explications dans la relation professionnelle et amoureuse des héros, Chen Jin et Daping, respectivement conducteur d’un minibus collectif et receveuse. Ils déambulent sans parler, font vaguement l’amour sur une banquette du véhicule…
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Si le récit avance quasiment par coups de théâtre, jamais donnés comme tels, le filmage, à l’inverse, reste fluide et naturaliste, privilégiant souvent le plan-séquence. Grande caractéristique du cinéma chinois : le plan d’ensemble, le vaste tableau urbain filmé avec une profondeur de champ absolue ; on embrasse à la fois un décor, une situation, et une action.
Ici ces vastes tableaux servent à caractériser l’héroïne, au physique un peu quelconque, larguée dans un monde qui la dépasse, ravalée au rang de seconde épouse par l’intrusion d’une ancienne compagne de Chen Jin. Le film donnera sa revanche à l’empotée dans la superbe scène où elle tombe dans un vaste trou de chantier dont elle ne peut plus sortir. Béance suprême.
Outre le filmage méticuleux, sans flou ni zones d’ombre, il y a la fragmentation de l’histoire. Yin Lichuan, par ailleurs romancière et poète, n’hésite pas à pratiquer des coupes claires dans la continuité, au risque parfois de perdre le spectateur. Dans cette histoire tout est soudain, mais on ne ménage pas pour autant de suspense autour de ces sautes narratives (notamment la disparition et réapparition inexpliquées de certains personnages). Cela fait le prix et la saveur du film, le rend énigmatique et excitant. Le plus intriguant étant le départ inopiné du héros en bateau, qui laisse les deux femmes libres de s’étriper entre elles avec joie. Œuvre imparfaite, certes, mais qui cumule les atouts. La fraîcheur du cinéma chinois provient en partie de son affranchissement décomplexé de règles qui semblent essentielles à la plupart des auteurs occidentaux.
En salle le 5 août.
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