Port Djema évite les poncifs du film humanitaire et préfère s’enfuir du côté de Conrad et Antonioni. Un médecin parisien part à la recherche d’un de ses amis, collègue toubib porté disparu dans un pays d’Afrique déchiré par la guerre civile. En se fiant aux prémices du scénario de Jacques Lebas, fondateur et ex-patron de […]
Port Djema évite les poncifs du film humanitaire et préfère s’enfuir du côté de Conrad et Antonioni.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un médecin parisien part à la recherche d’un de ses amis, collègue toubib porté disparu dans un pays d’Afrique déchiré par la guerre civile. En se fiant aux prémices du scénario de Jacques Lebas, fondateur et ex-patron de Médecins du Monde, on craignait le pire : le film humanitaire dans toute son horreur pédagogique, dopé aux bons sentiments et prescripteur d’une ordonnance visant à l’édification des chaumières.
Or, rien de tel (ou presque), et c’est tant mieux. Loin du long spot publicitaire pour Médecins du Monde, Port Djema est d’abord un film que l’on apprécie en creux, pour ce qu’il n’est pas. Puis, une fois passé cette première bonne surprise, on se laisse gagner par son rythme émollient, vaguement hébété, et on l’aime aussi pour ce qu’il est un voyage intérieur à la Conrad, un mystère contemplatif et laconique à la Antonioni. Le docteur Pierre Feldman débarque donc à Port Djema, Etat fictif qui ressemble à toutes les contrées agitées d’Afrique (Somalie, Zaïre, Djibouti…). Tout de suite, il éprouve l’expérience de l’Autre qui consiste à se trouver transplanté en terra incognita : les rues en terre battue, les hôtels déserts, l’ameublement dépouillé, la douche qui ne marche pas, la chaleur poisseuse… Eric Heumann capte tout cela sans rien souligner ni surligner et par les purs moyens du cinéma que sont le traitement de l’espace et de la durée.
Plus Feldman s’enfonce dans le pays, plus sa recherche se transforme en quête existentielle intime ; plus il se rapprochera de son ami, plus il se rapprochera de lui-même. Le héros traversera une guérilla urbaine saisie à la Godard peu de combattants et d’envolées épiques à l’image, beaucoup de claquements de mitraillette au son ; l’économie des dialogues et le jeu bressonien de Jean-Yves Dubois renforcent la facture très stylisée du film, son aspect évidé, quasi ascétique. Si l’on pense parfois à Antonioni, Godard ou Bresson, il faut aussi préciser qu’Heumann est loin du degré d’invention ou d’accomplissement de ces trois maîtres. Ainsi le film sent parfois l’exercice de style un peu forcé, souffre de quelques tunnels, hésite parfois entre l’abstraction et le naturalisme le plus banal par exemple, les scènes avec le consul (Christophe Odent) nous ramènent vers une facture explicative à la Girod ou Heynemann, beaucoup plus ordinaire. Quant au jeu laconique des acteurs, il n’est pas toujours très maîtrisé dans l’économie du film : ainsi, lorsque Feldman/Dubois se retrouve en pleine situation d’urgence sans se départir de son flegme engourdi, cela crée un effet keatonien dont on n’est pas certain qu’il soit complètement volontaire. Mais s’il n’est pas abouti, Port Djema constitue néanmoins une tentative intéressante de filmer l’Afrique comme un territoire mental plutôt que sous l’angle épuisant de la charité internationale.
{"type":"Banniere-Basse"}