Ecrivain et scénariste, Diastème est aussi cinéaste. Avec « Un Français », il suit sur trente ans le parcours d’un skinhead qui lentement abandonne ses convictions d’extrême droite. Un film polémique avant même sa sortie.
On ne l’attendait pas tout à fait sur ce bitume. Avant Un Français, Diastème s’est fait connaître par son style brillant et facétieux dans la presse à la mode des années 90, titres éphémères mais cultes (7 à Paris, L’Autre Journal) ou vieilles maisons (20 ans, Première), où sa plume déconnante instillait une irrévérence à rebrousse-poil. Par la suite, il est devenu dramaturge, romancier, scénariste (du Coluche, l’histoire d’un mec d’Antoine de Caunes) et finalement cinéaste, avec un premier film passé assez inaperçu (<a href="http://
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» target= »_blank »>Le Bruit des gens autour en 2008).
Sans présumer d’un hypothétique nombre d’entrées, il est d’ores et déjà acquis que ce deuxième long ne provoque pas l’indifférence. Depuis la mise en ligne de sa bande-annonce il y a quelques semaines, Un Français suscite un déferlement de violence sur les réseaux sociaux. Certains (peu attentifs) ont cru à une apologie du mouvement skin ; d’autres y voient une volonté de disqualification du FN en l’affiliant à la délinquance meurtrière de certains de ses sympathisants.
De SOS Racisme à la Manif pour tous
Les injures abondent. “Bobo de merde… Le même jour, on m’a traité de sioniste et d’islamo-gauchiste !”, nous dit l’auteur. Il déplore surtout qu’elles proviennent essentiellement de personnes qui n’ont pas vu le film. Il déplore aussi que la sortie du film initialement prévue sur une centaine de copies n’en comprenne plus que soixante. Certains exploitants ont possiblement craint des projections trop houleuses. “C’est évidemment lié à ce climat d’insultes et de menaces”, confirme Diastème.
Un Français est le portrait d’un homme sur près de trente ans, de 1984 à 2013, des premières manifs de SOS Racisme à celles de la Manif pour tous. Au début du film, Marco a 18 ans et appartient à un groupe de skins. Diastème a eu lui aussi 18 ans au milieu des années 80 et est donc son contemporain. Son Marco, il l’a d’abord rencontré dans le réel. “J’ai grandi dans une banlieue de la région parisienne où ont également grandi les premiers skins français, près de Colombes. Je les ai vus émerger dans mon quartier. A 18 ans, je suis parti à la fac, à Nanterre, au moment où naissait Touche pas à mon pote. J’ai commencé à en revoir certains, qui rôdaient près des manifs, cherchaient la bagarre. Le premier immeuble qu’on voit dans le film, c’est la cité universitaire de Nanterre, où je vivais en 1985. Les descentes des mecs d’Assas, la menace d’une baston, tout ça j’ai bien connu, oui.”
« Ma jeunesse a connu peu d’engagements »
De cette génération, qui a marché après la mort de Malik Oussekine (à 22 ans, à la suite de violences policières lors des manifestations de 1986) et a vu la spectaculaire résurgence de l’extrême droite comme force électorale, on a dit souvent qu’elle était peu politisée. Diastème confirme. “En effet, ma jeunesse a connu peu d’engagements. Je n’ai appartenu à aucun parti, n’ai eu aucune carte. Mon geste le plus politique a été de porter un badge Touche pas à mon pote. C’est dire…”
L’idée de revenir sur l’histoire du mouvement skin en France est venue après le meurtre de Clément Méric (militant d’extrême gauche décédé en 2013, à 19 ans, à la suite d’une rixe avec un groupe de skinheads). “Tout à coup, cet affrontement m’a rappelé celui des boneheads (les skins nazis – ndlr) et des red skins. J’ai eu envie de parler de ce que j’avais vu, vécu. Parce que cette histoire n’a jamais été racontée sous forme de fiction en France. L’Angleterre l’a fait, l’Allemagne, la Russie aussi, mais nous non.”
Marco s’extirpe de l’idéologie qui fut celle de son adolescence
Cette histoire, Diastème a choisi de la raconter de l’intérieur, du point de vue d’un skinhead, mais en partie seulement, puisqu’au bout d’un tiers du récit, Marco s’extirpe de l’idéologie qui fut celle de son adolescence. Pourquoi ne pas tenir le pari d’un personnage principal privé de prise de conscience humaniste ? “Cette prise de conscience, c’était pour moi la condition du film. Je n’ai pas inventé de toutes pièces la trajectoire de Marco. Il y a des mecs dans la vie qui ont appartenu à des bandes de skins et ont rompu avec ce mode de vie et de pensée. A la télévision, on ne montre que le trajet inverse, les anciens communistes qui sont devenus Front national. Le chemin opposé existe et personne n’en parle. Ça me semblait important de le raconter. Certains mecs ont fait dans leur jeunesse des choses horribles et sont devenus moines bouddhistes ou éducateurs. Il y avait quelque chose d’exemplaire à montrer ça. »
« Par ailleurs, mon film décrit un groupe de quatre personnes et j’ai fait en sorte qu’elles présentent un visage à chaque fois différent du parcours possible pour un skin de cette génération : beaucoup sont morts, beaucoup se sont retrouvés en prison ou ont quitté la France, beaucoup sont restés les mêmes, ont la même colère à 50 ans qu’à 18, ce qui me paraît un peu fou. Et puis d’autres se sont laissé pousser les cheveux, portent des costumes et ont fait une carrière politique. Ils ont laissé tomber les battes de base-ball et les poings américains et sont devenus conseillers municipaux, cadres au FN. Le film essaie de couvrir tout ce champ.”
Se méfier des explications schématiques
Une des réussites du film est de se méfier des explications causales trop schématiques. La mue pacifique de Marco reste jusqu’au bout assez mystérieuse. “Je ne voulais surtout pas raconter l’histoire d’un type qui a vu la Vierge ! Quand on change comme ça du tout au tout, ça ne peut pas venir d’un coup. Il met vingt-huit ans à devenir quelqu’un d’autre. C’est la somme de petits déplacements. A un moment donné, quelqu’un l’aide. Un livre qui tombe au bon moment ; un boulot de videur avec un collègue noir avec qui il sympathise…”
Marco, c’est Alban Lenoir, un comédien de 34 ans qu’on a croisé dans des films ou des séries depuis dix ans mais qui trouve là son premier rôle marquant. “Quand j’ai lu le scénario, je l’ai trouvé magnifique, mais je me suis dit : c’est mort ! Un rôle pareil, ils vont le proposer à un comédien connu – même si évidemment ce serait cent fois plus intelligent de le confier à un inconnu. J’ai eu la chance que Diastème et Philippe Lioret, le producteur, soient persuadés de ça et qu’ils aient pu l’imposer.”
Alban Lenoir rêverait d’être Jason Bourne
Alban Lenoir, grand garçon athlétique aussi souriant et rieur que Marco est introverti et dark, voulait être comédien depuis l’âge de 9 ans. “J’ai vu Bloodsport avec Jean-Claude Van Damme, je venais de commencer les arts martiaux et je me suis dit : ‘Putain ! je veux être lui !’ Bon, ça m’a passé…” (rires) Il rêverait d’être Jason Bourne (“le cinéma américain d’action à ce niveau ne prend pas les gens pour des cons”), regrette la piètre qualité du cinéma d’action en France (“36 Quai des Orfèvres a relancé le polar, mais depuis on l’a tué à force de mauvais films chers qui ne marchent pas”), est néanmoins content du thriller qu’il vient de tourner avec Jean Reno (Antigang, sortie le 19 août) et a dans ses cartons un scénario sur fond d’infiltration et de terrorisme écrit avec un ami réalisateur.
En attendant, on l’a surtout vu dans des comédies, dont deux séries, Hero Corp (France 4) et Lazy Company (OCS Max). “Ce n’est pas très bien payé, ça passe sur des petites chaînes, mais ce sont des séries de qualité, avec des fanbases incroyables… J’ai refusé certaines séries plus popus sur des grosses chaînes et je ne regrette pas. Je pense que si je les avais faites, on ne m’aurait pas confié le rôle de Marco dans Un Français.”
« Moi, je ne veux plus haïr personne. Plus jamais.”
Lorsqu’on l’interroge sur les torrents d’insultes déversés sur les réseaux sociaux autour du film, Alban s’échauffe un peu. “Connement, je vais tout lire. Je réponds parfois même en message privé. Et ça rend un peu fou. Je vais arrêter parce que j’ai vraiment trop de mal à prendre sur moi.”
Diastème voit dans ce contexte de sortie un peu brutal un symptôme supplémentaire à un mal selon lui très contemporain et très français : la recrudescence de la haine. “C’est ce qui me frappe le plus quand on observe la France aujourd’hui. Une haine folle émane de partout et gagne le pays dans des proportions toujours plus vastes. On hait ceux qui ne pensent pas comme nous, qui ne votent pas comme nous. Mais on hait aussi ceux qui pensent et votent comme nous. Au PS aujourd’hui, ils se haïssent. A l’UMP, j’en parle même pas. Même les écolos ne peuvent pas se blairer. Les gens du même bord, partout, se dépouillent la gueule. Ça donne le la de l’ambiance générale. Moi, je ne veux plus haïr personne. Plus jamais.”
Quand on lui demande si à 18 ans, lorsqu’il marchait avec SOS Racisme, il ne détestait pas les skins, il aquiesce : “Si, bien sûr. Je haïssais les gens d’extrême droite. Mais je ne veux plus éprouver ce sentiment aujourd’hui pour qui que ce soit. A la base, je suis violent et colérique. Ça fait trente ans que je me bats contre ça. Comme mon personnage, je pense que devenir adulte est un travail pour se débarrasser de la colère et de la violence qu’on a en soi.”
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