Plus qu’hier, moins que demain échappe à la chronique naturaliste convenue par ses non-dits, son sens des lieux et des regards. Naissance d’un cinéaste talentueux. Tiens, un bon film français, un excellent premier film. De Laurent Achard, on connaissait son troisième court métrage, Une Odeur de géranium, qui ne nous avait guère convaincus. Les choses […]
Plus qu’hier, moins que demain échappe à la chronique naturaliste convenue par ses non-dits, son sens des lieux et des regards. Naissance d’un cinéaste talentueux.
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Tiens, un bon film français, un excellent premier film. De Laurent Achard, on connaissait son troisième court métrage, Une Odeur de géranium, qui ne nous avait guère convaincus. Les choses y étaient trop bouclées, trop dites et trop montrées, et le film avait du mal à éviter les clichés attendus et la psychologie sommaire. Déployé dans le rythme plus ample et plus souple du long métrage, le talent d’Achard s’affirme.
Dans les premières scènes, qui permettent d’approcher les personnages sans les figer dans des conventions dramaturgiques, Achard opte pour un doux réalisme qui convient à des lieux intimes et maintes fois regardés, enfin prêts à être captés sans qu’on les force, comme si ces petites routes de campagne s’offraient sans résistance et dévoilaient en chuchotant les bribes de souvenirs dont elles regorgent. Plus qu’hier, moins que demain débute donc sur le ton de la chronique familiale, avec ses habitudes rassurantes (c’est l’époque des confitures) et son lot de non-dits qui rendent les choses vivables. Le retour de Sonia, la fille aînée, va dévoiler les lézardes secrètes qui courent sous la rassurante quotidienneté provinciale. Ici comme ailleurs, le malaise diffus ne demande qu’à éclater.
La première victoire du film, c’est d’arriver à s’inscrire avec modestie mais fermeté dans une tradition française de moins en moins pratiquée, celle de la lignée Renoir/Pialat/Eustache, capable de restituer le poids de réel d’une rue de Paris comme d’un pavillon de village, d’un intellectuel qui croit maîtriser sa parole comme d’un petit entrepreneur trop content de sa réussite.
En déplaçant le champ d’exploration vers des lieux et des personnages que le cinéma français renonce trop souvent à montrer, et sans jamais tomber dans les travers publicitaires d’un Dumont (La Vie de Jésus ou « la vie des grands fauves ») ou les dérives caricaturales d’un Guédiguian, Achard accepte la difficulté de se colleter à un univers où le partage de références culturelles minimales ne suffit plus à rendre compte de la complexité tendue des rapports. Il n’est ni chez les « pauvres » ni chez les « simples », il est chez les absents, ceux qui se trouvent le plus souvent réduits à leur silhouette ou à leur type. Et il leur restitue leur présence et leur complétude. Surtout, il leur rend la fiction.
Cet apport fictionnel, joué sur le double mouvement d’une fille qui ne peut s’empêcher de revenir demander des comptes au pays natal et d’une autre fille qui ne rêve que de départ soudain et définitif, permet au film d’échapper à un « chronicisme » paresseux devenu monnaie courante, et à Achard de gagner ses galons de jeune cinéaste plus que prometteur. Très vite, on comprend que le film ne se contentera pas d’un état de fait, qu’il va être tissé d’une imbrication de récits, tous décisifs, tous menés jusqu’à leur terme, jusqu’à la disparition de leurs protagonistes. Extraite d’une banalité étale, la journée au bord de la rivière sera décisive, mais personne ne le sait encore.
Pour passer de la chronique à l’exceptionnel, Achard a la grande intelligence de s’appuyer sur son sens du rendu des lieux plutôt que de se résoudre à une scénarisation surplombante. C’est de la rivière que semblent émaner les passions des adultes et les jeux inquiets des adolescents. Construite sur des regards et leurs conséquences, plutôt que sur des mots et leurs causes, la narration se fait lacunaire et musicale pour nous donner l’essentiel sans céder à l’insistant. On se frôle, on se croise, et la figure complète des petites lâchetés et des grands renoncements apparaît sans crier gare.
Sûr de sa virtuosité narrative comme de son découpage en plans fixes qui vibrent toujours d’un hors-champ que l’on sent palpiter , Achard avance pas à pas vers une résolution qui suspend le sens au lieu de le livrer. A la fin du jour, un drame finit de se nouer, mais seuls les aboiements des chiens et une lueur d’incendie dans le crépuscule viennent l’attester. De la part d’un cinéaste qui a un tel sens de l’implicite décisif et de la capture en douce de sensations oubliées, Plus qu’hier, moins que demain pourrait bien prendre une valeur de programme.
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