Va-t-on au cinéma pour se perdre ou pour se retrouver ? Pour voir des récits bigger than life, comme le film de Nicholas Ray, modèle de la démesure de la fiction américaine ? Ou pour se réfugier dans du plus petit que la vie, vaste corpus français de quelques films actuels : Je ne suis […]
Va-t-on au cinéma pour se perdre ou pour se retrouver ? Pour voir des récits bigger than life, comme le film de Nicholas Ray, modèle de la démesure de la fiction américaine ? Ou pour se réfugier dans du plus petit que la vie, vaste corpus français de quelques films actuels : Je ne suis pas là pour être aimé, Je vais bien, ne t’en fais pas, Je vous trouve très beau, J’attends quelqu’un (le seul bon film du lot), Je crois que je l’aime, Je te trouve pâlichon ce matin, etc. ? Le film plus-petit-que-la-vie associe un titre en “Je” dont la formulation hésitante indique une subjectivité souffreteuse, une communauté de personnages assemblés par le hasard de la vie, exerçant de petits métiers, caractérisés par un handicap (le bégaiement, l’anorexie, la timidité), et un récit lâche où la topographie ad hoc (un appartement, une petite ville de province) sert de lien narratif. A la clé, un constat (la vie n’est pas pour vous), un diagnostic (le manque de confiance en soi), une astuce (une caractérisation suffisamment floue pour que chacun s’y retrouve), et un pis-aller comme remède (le principe du regroupement selon le plus petit dénominateur commun, à savoir un être humain avec un être humain : Ensemble, c’est tout, comme le dit le film de Claude Berri). Pourquoi un tel succès, difficilement prévisible pour le club des cinéphiles beaucoup trop hostile par nature à l’expression publique de soi pour aller voir un film titré avec un “Je” ? Il accompagne peut-être la vogue des thérapeutiques molles convertie en fictions, coincée entre le refus de la sévérité de la psychanalyse et le refus de la “naïveté” de la psychologie à l’ancienne. Il succède aux réussites commerciales d’une certaine variété et littérature actuelles (Olivier Adam, Anna Gavalda, etc.) friandes de mal-être douceâtre. Il prolonge un courant ancien et talentueux de la littérature française qui affectionne les mornes existences (de Simenon à Emmanuel Bove). Dans Ensemble, c’est tout, la seule scène où un personnage (le BCBG bègue) sort de ses gonds et a enfin l’occasion de faire un numéro est quasiment éludée. Pudeur diront certains, refus du spectacle qui n’est que paresse diront d’autres. Si le film plus-petit-que-la-vie est un genre inoffensif, on peut trouver gagne-petit cette couardise existentielle et artistique qui ne fait que confirmer l’insignifiance de ces vies. Et l’on songe à Ozu et Naruse qui surent intégrer à la trajectoire de leurs modestes personnages la déchirure de la résignation.
NB : un faux titre s’est glissé dans cet article.
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