Planétarium montre comment un monde s’écroule, et comment les images sont source d’ambivalence. Le meilleur film de l’auteur de « Grand Central ».
Il est de notoriété publique que le cinéma et la psychanalyse sont nés en même temps, que leurs liens sont étroits, puisque l’un et l’autre sont des langages qui donnent à voir ce qui est par définition impossible à voir : l’inconscient, les rêves, les fantasmes. De fantasme à fantôme, il n’y a qu’un pas (ou un pont) à franchir.
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Le troisième long métrage de Rebecca Zlotowski (Belle épine, Grand Central) ne parle pas de psychanalyse (quoique) mais de cinéma et de spiritisme. Il se déroule dans la deuxième moitié des années 1930, en France.
Natalie Portman et Lily-Rose Depp somptueuses
On va y retrouver ce que nous aimions le plus dans ses deux premiers films : un sens inné du romanesque et du récit, une imagerie fantastique singulière (les courses de motos dans la nuit dans Belle épine, la centrale nucléaire de Grand Central), une attention aux personnages secondaires (ici le cinéaste Pierre Salvadori, admirable dans le rôle… d’un cinéaste) et puis, oui, une crudité sexuelle très pudique, presque cachée, souvent dissimulée sous des tissus, des tentures et des jeux de couleurs très étudiés.
Planétarium met en scène deux sœurs, Laura et Kate Barlow (Natalie Portman et Lily-Rose Depp, somptueuses, subtiles dans leur jeu), deux médiums américaines. Laura est capable, par l’intermédiaire de Kate, de mettre en relation n’importe qui avec son défunt le plus proche.
La métaphore est claire : le cinéma est un révélateur qui met au jour l’invisible
Un grand producteur de cinéma, André Korben (Emmanuel Salinger, prodigieux), d’abord amusé, les engage pour lui prodiguer des séances en privé. Il découvre peu à peu que son amusement était plus intéressé qu’il ne le pensait (il a lui aussi ses morts…), et il les embauche à demeure pour l’aider à identifier ce défunt dont l’identité lui échappe.
Bientôt, surtout, il décide de produire à fonds perdus un film (dont le pitch rappelle Vertigo…) dans lequel Kate jouerait le rôle principal et où il serait possible de rendre visibles les images que produit Laura. Bientôt (mais la chose n’est montrée que par la mise en scène), les deux sœurs et le producteur forment une sorte de trio. La métaphore est claire : le cinéma est un révélateur qui met au jour l’invisible.
Culpabilité et visions
Laura n’est pas dupe de son “don” : les morts qui se manifestent viennent chercher une compensation chez les vivants, ces vivants qui n’ont pas su leur donner suffisamment d’amour avant leur mort. Et ceux qui se soumettent à ces séances projettent leurs propres fantasmes, en l’occurrence leur propre culpabilité. Korben, pendant ses visions, va aussi bien revoir son père sévère que ses camarades de tranchée morts au champ d’honneur de la Grande Guerre, ainsi que des expériences sexuelles diverses, intenses, dont nous ne saurons rien… Autrement dit, c’est la culpabilité seule qui provoque ces visions.
Mais le redoutable scénario de Rebecca Zlotowski ne s’arrête pas là : il va nous montrer comment un monde s’écroule. Nous sommes à la fin des années 1930 et l’antisémitisme va rattraper Korben, ce Français ayant combattu pour la France mais né en Roumanie et Juif sous le nom de Korbinski. C’est là que Planétarium – comme ces salles arrondies où l’on projette la voûte céleste – devient grand.
Le monde va s’effondrer parce que les hommes soudain ne savent plus regarder les images. Korben croit voir, dans un film expérimental tourné avec Laura, des images qu’il est le seul à voir. Un amant de Kate lui projette un film porno en prétendant qu’on y voit Korben, ce qui est faux (Kate le chasse).
Images “bonnes” et “mauvaises”
Quand Korben passe en jugement, accusé d’avoir produit son film avec de l’argent “de l’étranger”, il s’oppose violemment à ce que les caméramen des actualités, qui le filment quand il entre dans le box des accusés, continuent à tourner – comme s’il craignait qu’on lui vole aussi son âme, à lui auquel on vient de retirer la nationalité française sur de simples présomptions.
Le monde s’effondre très vite quand on ne sait plus voir les images, dit Planétarium. C’est le message assumé par la promo du film inscrite sur son affiche : “On ne sait jamais ce qui est sur le point de changer…” Quand on leur fait dire des choses qu’elles ne disent pas, quand on oublie les réalités qui se cachent derrière (la Première Guerre mondiale, l’immigration, les sentiments). Et pourtant, l’image finale nous montre un ciel étoilé de papier, un décor de film devant lequel Natalie Portman sourit tristement, et on la comprend (magnifique fin).
Peut-être y a-t-il de “bonnes” images, celles qui donnent du sens à la vie et la soulagent, nous font rêver, celles que fabrique l’art ; et de “mauvaises” images, celles qui détruisent les êtres sur des clichés, des a priori, des préjugés sociaux, raciaux, etc. Art contre propagande, la lutte est rude et surtout éternelle.
Planétarium de Rebecca Zlotowski (Fr., 2016, 1 h 45)
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