Nomadeland. La Planet of tubes récent album tranchant net de Sloy sera-t-elle assez vaste pour contenir toute la volonté de trois gamins aussi pugnaces que charmants ? Toujours prêts à pousser les murs pour se faire un peu de place, ils joueront partout d’ici Noël. Hardcore vaillant rien d’impossible. La grande force des […]
Nomadeland. La Planet of tubes récent album tranchant net de Sloy sera-t-elle assez vaste pour contenir toute la volonté de trois gamins aussi pugnaces que charmants ? Toujours prêts à pousser les murs pour se faire un peu de place, ils joueront partout d’ici Noël. Hardcore vaillant rien d’impossible.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La grande force des exilés, c’est de ne jamais jouer à domicile. Hier au Botanique de Bruxelles, ce soir à l’Arapaho de Paris, demain au Sonic Rendez-Vous de Clermont-Ferrand, aucun lieu n’inquiète ou ne rassure Sloy, citoyens de nulle part, partout chez eux. Ne parlons pas non plus de Rastignac montés à Babylone pour devenir les maîtres du monde. Virginie (basse et samplers), Armand (guitare et chant) et Cyril (batterie) ont choisi le nomadisme dans l’unique but de partager une musique unique avec tous ceux qui s’y reconnaîtront un tant soit peu. En route. « C’est vrai que l’année dernière nous avions envisagé un autre déménagement, pour Londres cette fois. Mais il faut faire la part des choses entre fascination et installation. On y a réfléchi un moment après le fantastique accueil reçu par notre premier album là-bas et conclu qu’aucun avantage ne justifiait le transfert. Rennes nous va bien pour le moment. Tant qu’on y trouve sérénité et inspiration, on y stationne. Etre présent ailleurs ne se calcule pas en fréquence des apparitions, mais dans un choix rigoureux des déplacements. Une visite tous les deux mois en Grande-Bretagne suffit à gérer notre petite cote sans courir le risque de nous noyer dans le tourbillon londonien. PJ Harvey est la première personne qui nous ait dissuadés de tenter l’aventure anglaise au quotidien : pour elle comme pour nous, la distance est la meilleure des sécurités. Rennes est finalement moins loin de l’Angleterre que de Béziers. Et puis nous avons désormais des habitudes dont il va être difficile de se départir : notre petit studio, nos amis. Notre nid. On se fait vite à la vie sédentaire. »
Sédentaire, sans doute. Routinière, pas vraiment. Certes, un ombilic strict relie leurs deux albums, mais le récent Planet of tubes tient toutes ses promesses d’autonomie. Plus incisif, plus mature que son prédécesseur, il guérit tous les schémas noisy de leurs distorsions criardes, de leurs ambitions fumeuses et cabalistiques. Les cordes d’Armand sont une épure, un trait de fusain net. Plus que jamais. A quelques objets métalliques près, accolés au manche ou au sillet de sa guitare, rien ne vient troubler la limpidité de sonorités cristallines. De cette botte d’épines rêches, sans liseron ni asparagus, Steve Albini aura une nouvelle fois tiré le plus beau des bouquets. « Nous partageons avec lui la certitude qu’un groupe doit échafauder ses sons lui-même. A partir de là, Steve est le meilleur des producteurs possible. Il agit d’abord comme un ingénieur du son, sans dirigisme ni implications artistiques personnelles. A la limite, il se fiche complètement de la musique, mais peut restituer n’importe quelle idée, même celle qu’on n’aurait pas su lui exprimer clairement. Il pourrait sans doute présenter un danger pour un groupe qui n’évoluerait pas. Il écoute, exécute à cent pour cent, mais ne se permet aucune intrusion dans la texture ou les charpentes des chansons. Il ne faut pas l’utiliser pour combler d’éventuelles lacunes, lui ne sait que doper les points forts et le travail préalable. Nous l’avons beaucoup rencontré avant l’enregistrement de Planet of tubes, pour parler, pour lui présenter de nouvelles maquettes. Ensemble nous avons cerné les progressions de notre musique et donc conclu à l’intérêt de retravailler sur les mêmes bases. »
Peu habitué à déléguer son histoire et sa boussole, Sloy laissera néanmoins Steve Albini masteriser seul l’album aux studios Abbey Road de Londres. « Il a ses plans », lâche Armand avec un laconisme glacial qui tranche au sein d’un discours généralement enflammé. « Nous avons d’une part confiance et surtout aucune envie de mettre les pieds à Abbey Road. Si nous avons fui l’usine, ce n’est pas pour retourner dans une gigantesque factory de dix étages, dans un fast-food de l’enregistrement sans âme ni chaleur. Nous préférons les petites unités vives et humaines. La création de notre propre label vient de ce constat. Nous ne craignons pas les méthodes de travail des grosses compagnies de disques, qui elles aussi ont su évoluer, mais la fluctuation de leur personnel. Pour un contrat signé aujourd’hui, il n’est pas dit que les interlocuteurs soient les mêmes dans deux ans. L’implication d’un nouveau venu à n’importe quel rouage de l’entreprise sera forcément moindre s’il n’a pas eu le coup de cœur du signataire. En discutant la distribution de nos disques au coup par coup et sans intermédiaire, nous sommes sûrs des motivations présentes sans nous enchaîner à des volontés qui pourraient s’émousser. Paradoxalement, nous vivons au jour le jour, mais misons tout sur l’avenir. En partant très jeunes de Béziers, nous avons eu la chance d’être préservés par l’inconscience. Si nous avions quitté nos cocons familiaux à 25 ans, le futur nous aurait sans doute paniqués. Nous n’aurions pas accepté de dormir dans un camion, sans se laver, sans promesse de lendemains meilleurs. Depuis, la notion d’avenir a germé dans nos têtes, mais les épreuves passées ont préparé le terrain, nous ont enseigné la patience, la résistance, le recul aussi. Après tout, nous ne tournons pas au Cambodge ou en Afghanistan : nos points de repère sont les mêmes quel que soit l’endroit où nous jouons. Le monde civilisé ne vaut pas très cher mais a le mérite d’être partout le même. Avec ce groupe en guise de nouvelle cellule familiale et ces décors qui changent si peu, on est partout chez soi. On respecte l’unité de lieu, une ville, une scène, mais on multiplie les rencontres. En fait, on ne s’est jamais demandé si on aimait les tournées. Le jour où la question se posera, peut-être qu’on se repliera sur les deux mètres carrés d’une île déserte. Mais bouger tout le temps, croiser plein de gens différents, c’est aussi cultiver sa solitude. Et il n’y a rien de tel que la solitude pour se préserver, pour résister à tout. »
Farouches et intègres. Les deux traits de caractère transpirent à chaque mot, comme ils suintent déjà de leur musique, à consonance dure certes, mais toujours plus en marge du cheptel bruyant. A les voir quasiment s’excuser d’une couverture médiatique conséquente, ou rougir lorsque le public belge exulte aux premières mesures de Pop (imprévisible hit-single à Duvel-land), on se demande comment Sloy réagirait à ce destin doré qu’on leur souhaite haut et fort. « Nous n’avons pas peur de vendre beaucoup de disques mais plutôt de tomber dans une sorte de domaine public, de devenir un divertissement impersonnel. Nous préférerions vendre partout dans le monde à un public concerné, en évitant de devenir un produit de consommation pour les autres. Des gens très forts et très honnêtes comme Noir Désir ou PJ Harvey savent résister à l’intrusion de la gloire dans leur inspiration, mais ça n’empêche pas leur musique de perdre en intensité dans des salles immenses ou sur des radios fourre-tout. En fait, dicton de circonstance, il vaut mieux être isolé que mal accompagné. Seuls les groupes de hard-rock, de Biohazard à Iron Maiden, arrivent à conjuguer un succès de masse et une véritable intimité avec leur public. Le style nous gonfle, mais ce genre de reconnaissance marginale nous fascine. Nous nous sommes trop battus pour nous couper du monde banal, ça nous ferait maintenant mal au cœur de le voir nous rattraper par la manche. »
On n’imagine pas en effet Sloy traqué par les paparazzi ou se pavanant à Malibu. Mais si une autre pirouette de l’ironie prenait Planet of tubes à sa propre dérision, on sait qu’Armand Gonzalez n’est pas Kurt Cobain. S’il court toujours devant, c’est surtout pour ne pas se laisser dépasser par lui-même. La tête solidement ancrée sur les épaules, une poignée de main franche à la Ian McKaye (Fugazi), Armand a déjà signé quelques pages d’investigation musicale catégorique. A l’instar de ces titres lapidaires Fuse, Plug, Red, Bull, Air, Saw, Arms , les disques et les concerts de Sloy ne noient jamais le poisson sous des pluies diluviennes. Leur fission vibrante de groove décharné et de modernité alcaline, d’atouts acides et de pop âcre, de chaud et de froid, fonctionne comme un groupe électrogène. Autonome et solide, capable de générer une énergie ambitieuse et de créer de nouveaux espaces soniques, capable de traverser tous les déserts sans y prêcher.
{"type":"Banniere-Basse"}