De ce format de projection qui ne s’imposera jamais, le documentaire, destiné à promouvoir un procédé alors révolutionnaire, reste un témoignage touchant par son ambition et son appétit d’images cinématographiques.
En 1952 est mis en point un nouveau format – baptisé Cinérama –, qui prolonge le procédé de split screen inventé par Abel Gance dans Napoléon (1927) et permet la projection d’une image trois fois plus grande que le format traditionnel. Pour ses créateurs, le Cinérama va révolutionner l’industrie en offrant une projection dont l’amplitude s’approche de la vision humaine et donc d’une immersion totale.
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Il s’agit d’une caméra dotée de trois objectifs placés côte à côte et imprimant trois pellicules de 35 mm juxtaposées. En salle, ces trois pellicules sont projetées en même temps sur un immense écran incurvé, à l’aide de trois projecteurs synchronisés.
Inventer un nouvel œil pour voir le monde
Le documentaire Place au Cinérama est le premier rejeton de cette invention. Il doit en être le porte-drapeau. Il débute par une séquence introductive en 4 : 3 et noir et blanc de douze minutes. Un narrateur fort sérieux y part des peintures rupestres puis passe par le daguerréotype pour nous faire arriver au Cinérama.
Les bords du cadre s’étendent alors, un Technicolor sublime vient habiller les images et un voyage à travers le monde commence. En deux heures, des canaux de Venise aux montagnes Rocheuses en passant par les jardins de Vienne, La Scala de Milan et un parc de loisirs en Floride (la plus belle séquence), le film vante toutes les possibilités du Cinérama.
Sur nos écrans domestiques, on ne goûte pas aux qualités d’immersion du format, bien que le procédé Smilebox (une image incurvée sur toute la largeur de l’écran) tente d’en reproduire les effets. L’intérêt du film est ailleurs. Ce que raconte Place au Cinémara, c’est une ambition démesurée, celle d’avoir inventé un nouvel œil pour voir le monde.
Seuls neuf films en Cinérama seront réalisés
C’est alors comme s’il fallait tout revoir pour la première fois. Ces images ne sont tendues par aucun fil narratif, elles ne valent rien que pour le désir de voir par ce nouvel œil géant, surpuissant, omniscient et glouton, capable de survoler toute la surface terrestre et d’en avaler toutes les beautés instantanément.
Si on met de côté le patriotisme gênant du film, son ambition démiurgique est d’autant plus touchante qu’on sait que le Cinérama sera un échec. Seuls neuf films en Cinérama seront réalisés, dont La Conquête de l’Ouest de John Ford, Henry Hathaway et George Marshall (1962). Il sera remplacé par un standard plus facile à mettre en œuvre mais moins ambitieux : le 70 mm.
Si la 3D contemporaine en réactive l’ambition, il est amusant de relever que l’appétit de réel ogresque de cet œil et de son écran de projection – les plus gros que l’homme ait conçus – se retrouve finalement réincarné dans l’œil et l’écran les plus petits que nous ayons inventés : ceux de nos téléphones portables.
Place au Cinérama de Merian C. Cooper, Ernest B. Schoedsack, Gunther von Fritsch (E.-U., 1952, 2h03) Sur La Cinetek
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