À l’affiche du dernier film de Quentin Dupieux, Pio Marmaï nous dévoile aujourd’hui les cinéastes avec qui il aimerait travailler, les moments clés de sa carrière ou encore les séries qu’il regarde…
Dans Yannick, le nouveau film du très prolifique Quentin Dupieux, Pio Marmaï incarne un acteur de théâtre de boulevard. Le film, resserré sur une unité de temps, d’action et de lieu, fait le récit d’une représentation qui dérape parce qu’un spectateur soudainement se lève et proteste contre la faiblesse du spectacle.
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Après En Liberté ! de Pierre Salvadori ou La Fracture de Catherine Corsini, Pio Marmaï démontre tout son talent dans le registre d’un comique fébrile. Rencontre.
Quel était ton rapport de spectateur au cinéma de Quentin Dupieux avant de le rencontrer ?
Pio Marmaï – Il fait partie des rares cinéastes dont j’avais vu quasiment tous les films. Et il est très productif ! (rires). Son parcours m’a toujours fasciné. J’aimais déjà beaucoup ses films aux États-Unis comme Wrong Cops, Rubber ou Réalité. Je me disais bien qu’on finirait par travailler un jour ensemble. On s’est parlé au téléphone parce qu’il m’a un jour proposé un rôle, mais je n’étais pas disponible. Et puis on s’est rencontré pour Yannick. J’étais attiré à la fois par le film et par son processus de fabrication.
Quelle était la particularité de la fabrication ?
Le temps de tournage était extrêmement court : seulement six jours ! Pour un film d’une heure. Ça veut dire qu’il faut rentrer dix minutes de film par jour ! Ça crée une intensité, une électricité très particulière. C’était une gageure au niveau du texte. Il y avait quand même 75 pages à apprendre, très denses. On a répété une dizaine de jours avant le début du tournage pour être très précis sur le texte. Puis on a tourné de manière chronologique, au théâtre Dejazet. Les figurants qui constituaient le public (à l’exception de ceux qui avaient des lignes de dialogue et étaient acteurs) ne savaient pas ce qu’ils allaient voir. Leurs réactions face à la pièce du film, Le Cocu, puis à l’incident qui en perturbe la représentation, sont spontanées.
Tu es un acteur qui prépare beaucoup ?
Je suis très rigoureux sur l’apprentissage du texte. Si je sais mon texte de façon vraiment sharp, ça me permet d’être un peu relax et dispo pour tenter des trucs sur le tournage. Il ne faut pas que j’aie l’angoisse du trou de mémoire, c’est une peur maladive chez moi, ça peut couper toute aptitude à l’abandon et à l’exécution de ce qu’on me demande. Je travaille d’ailleurs avec une personne, qui n’est pas coach, n’assiste pas aux tournages, mais m’aide en amont à apprendre le texte.
La caractérisation comique de ton personnage, notamment sa manière très amusante de ramener en arrière sa mèche de cheveux, tu l’as trouvée sur le plateau ?
Il y avait une justesse à trouver entre quelque chose d’un peu excessif, mais quand même sans trop chargé. Comme il y a cette longue scène, où tout à coup il révèle son humanité, sa souffrance, sa profondeur, je pouvais me permettre de m’amuser au début en proposant quelque chose d’un peu facétieux.
Quand vous jouez la pièce Le Cocu, l’indication était qu’il fallait qu’on voie que vous n’étiez pas de très bons acteurs et que ce n’était pas un très bon texte ?
Ah non, pas du tout. Je déteste au cinéma voir des acteurs mal jouer exprès aux dépens de leur personnage. Moi je ne méprisais pas du tout le texte qu’on était en train de jouer : c’est une pièce de boulevard middle of the road. Ce n’est ni très bon, ni très mauvais. Et je n’ai pas du tout voulu désigner mon personnage comme un mauvais acteur. C’est un type malheureux parce qu’il n’a pas eu la carrière qu’il aurait voulue, mais je ne le vois pas comme un mauvais acteur.
As-tu déjà éprouvé comme ton personnage un sentiment de néant en jouant des œuvres ou des rôles auxquels tu ne croyais pas ?
Oui et non… C’est tout à fait sain de se poser des questions sur le sens de ce qu’on fait. Mais il faut pas que ça devienne un frein. Plus on a de choses et moins on est satisfait. Parfois j’ai des regrets sur des rôles. Je me dis que j’aurais pu le faire différemment, que ça aurait été mieux… Ce sont des pensées qui polluent et il faut s’en méfier. Pour Paul Rivière, mon personnage, c’est différemment. Il est resté à quai. Le TGV est passé et il n’est pas monté dedans. Il a raté quelque chose professionnellement, soyons francs. Pour moi, ce n’est pas le cas. Mais le fait de me poser des questions, d’avoir des doutes, je sais ce que c’est.
Quels sont les films, ou les rencontres, que tu considères comme des caps, où tu t’es dit que ta carrière prenait une direction qui te plaisait ?
En liberté ! de Pierre Salvadori. J’ai l’impression d’avoir découvert que je pouvais faire des choses que j’ignorais. J’ai eu le sentiment de progresser. Et la rencontre avec Pierre, avec qui j’avais déjà tourné Dans la cour en 2014 et que j’ai retrouvé pour La Petite Bande, a été importante pour moi, d’un point de vue professionnel et personnel. Celle de Cédric Klapisch est importante aussi, on a tourné deux films ensemble (Ce qui nous lie, En corps), j’ai eu l’impression d’appartenir vraiment à une équipe avec lui. Mais vous êtes fou d’Audrey Diwan a été un moment charnière aussi. Le rôle me faisait peur, l’histoire de ce type totalement dépassé par sa consommation de drogue, mais Audrey, qui a quelque chose de très solaire, m’a vraiment tiré vers le haut. Et puis Enquête sur un scandale d’État de Thierry de Peretti. Ça a été une expérience géniale. La rencontre avec Emmanuel Fansten, le journaliste de Libération que j’interprète, a été importante. On est devenu amis d’ailleurs. J’adorais faire des réunions avec lui. Il décrivait avec une telle limpidité, une telle aisance, les réseaux tentaculaires de la drogue sur lesquels il avait bossé que j’avais l’impression de tout comprendre. Et dès qu’il était parti, j’étais incapable de restituer ce qu’il avait raconté (rires). Le texte là aussi était très dense. Le premier scénario faisait 240 pages ! C’est sur ce rôle que j’ai commencé à travailler avec une répétitrice. En plus, Thierry filme essentiellement en plan-séquence. Donc parfois on partait pour des plans de dix minutes. Même si, il n’en gardait que deux. C’est troublant de voir que prélever deux minutes au milieu d’un plan de dix minutes ne produit pas la même intensité que si on avait joué ces deux minutes en deux minutes coincées entre “action” et “coupez”.
Et est-ce qu’il y a eu des moments pendant lesquels tu as eu le sentiment que la façon dont on te percevait était limitée ? Qu’on te proposait les mêmes genres de rôle ?
Ça m’est arrivé. À moment donné, je pense que j’ai frôlé le risque d’être casté comme le beau gosse de service, pour des comédies romantiques par exemple. On m’a pas mal demandé de jouer sur une naïveté, un côté un peu charmant, qui à la longue finissait par m’ennuyer. J’avais envie de faire des rôles plus délirants, plus extravertis. Et c’est venu.
Aujourd’hui, on a l’impression que ta pente naturelle, le lieu où tu es très à ton aise, c’est plutôt une certaine cinglerie, très extravertie comme dans En liberté ! ou La Fracture. Ou est-ce plutôt d’en faire très peu, comme dans Enquête sur un scandale d’État qui te demande du travail ?
Ce n’est pas faux, mais c’est lié à un réflexe de travail. Ma méthode est plutôt d’apporter beaucoup tout de suite, d’aller au maximum de la capacité de proposition avant de soustraire. Il y a des cinéastes qui gomment assez peu, d’autres me disent au contraire : “Lève le pied !”. Mais en tout cas je me sens plus à l’aise en commençant fort et en atténuant, qu’en faisant l’inverse. Probablement que les propositions un peu explosives que j’ai pu faire sur En liberté ! et que Pierre Salvadori a encouragé ont donné l’idée à Quentin (Dupieux) que sur Yannick, on pouvait y aller. En tout cas, là où tu as raison, c’est qu’aujourd’hui, ça me demande beaucoup d’en faire moins. Peut-être que c’est parce que j’ai peur que si je ne fais rien, rien ne se passe…
Être régulièrement dans des films très populaires comme Les Trois Mousquetaires, c’est quelque chose auquel tu tiens ?
En tout cas, je suis très content d’être dans celui-là. Parce que je suis très ami avec François Civil, qu’on s’est beaucoup amusé, tout comme avec Romain, Vincent… Et je trouve que le film a vraiment réussi son pari, qui n’était quand même pas simple. En revanche, je n’ai pas non plus envie de rester uniquement dans des endroits de confort de production. Je ne me dis jamais : “oh non, je n’ai pas de caravane sur le plateau, je ne vais pas faire ce film”. Mon agent m’encourage beaucoup à bouger, de ne pas faire que du cinéma très installé.
Quels sont les cinéastes avec qui tu aimerais bosser aujourd’hui ?
Guillaume Nicloux et Bruno Dumont sont des cinéastes qui m’intriguent beaucoup et j’ai l’impression que je pourrais participer à leur univers. Aujourd’hui, j’arrive à dire à des cinéastes qui m’attirent que j’aimerais travailler avec eux. Je l’ai fait avec Guillaume Nicloux.
En thérapie, c’était une expérience forte ?
Pour un acteur comme moi assez expansif, presque hyperactif, qui aime bien bouger, ça m’a demandé une certaine adaptation et un certain effort de rester durant tout le temps de tournage assis sur un canapé (rires). Mais ça m’a plu d’explorer un registre assez intime.
Tu regardes des séries ?
J’adore The Office, The Night of… Récemment j’ai bien aimé White Lotus. En fait depuis que j’ai un enfant, je vais moins au cinéma, donc je regarde plus de séries…
Comme beaucoup de professionnel·les du cinéma français, tu vois les films en phase de rattrapage accéléré en lien avant les César ?
Oui je dois avouer… (rires) Et pourtant je pense que ça n’a rien à voir d’aller voir un film en salles ou de le voir sur la plateforme des César. Je regrette vraiment que ma vie ne me permette plus assez de vivre cette expérience du cinéma en salles et je sais que ça reviendra.
Deux ans après, quel souvenir tu gardes de ces quelques jours où tu es entré dans les trending topics de Twitter à cause d’une blague que tu avais fait à la conférence de presse de La Fracture sur Emmanuel Macron ?
C’est extrêmement violent. Ce n’était même pas une blague sur Emmanuel Macron. Mais une référence à ce que disait mon personnage dans le film sur le fait de passer par les chiottes de l’Élysée pour s’expliquer avec Macron. Une partie de ma réponse a été utilisée de façon virale pour en faire quelque chose d’explosif. Comme personne n’avait vu le film, les gens ont cru que j’exprimais mon désir personnel. D’abord je ne suis pas quelqu’un de violent. Je n’ai pas ce type de réaction… Pendant deux jours, tu as un sentiment d’injustice, il se déverse tout et n’importe quoi sur ton compte, sur le cinéma français… C’est l’enfer du stormshit !
Avais-tu fait un communiqué ?
Non, je pense qu’il faut vraiment laisser passer.
Lors de notre première interview, il y a une dizaine d’années, tu m’avais dit qu’un des albums que tu avais le plus écoutés dans ta vie, c’était le premier album de Ace of Base, qui t’obsédait quand t’étais gosse. Est-ce que tu aurais un autre truc, aussi honteux, à révéler aujourd’hui ?
Je ne vais pas te mentir : Shakira, c’est ma came ! Je l’adore. J’aime ses chansons, j’adore danser dessus dès que j’ai un peu bu, je la trouve belle… J’adore même ses pubs pour les yaourts. Tu t’en souviens ? C’était pour le bifidus actif, tu sais les petits pots verts ? Elle danse à côté des yaourts, et à la façon dont elle ondule, tu comprends que son transit est nickel ! La team qui a eu cette idée, bifidus + Shakira, vraiment bravo ! (rires). Mais encore aujourd’hui, un petit coup de Shakira, ça me donne du tonus pour le reste de la journée. Mais je n’en ai même pas honte, d’ailleurs. De toute façon, je n’ai honte de pas grand-chose…
Propos recueillis par Jean-Marc Lalanne
Yannick, de Quentin Dupieux avec Pio Marmaï, Raphael Quenard et Blanche Gardin
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